
Le retrait brutal, en mai 2025, des titres miniers de la société Axis Minerals par l’État guinéen a ravivé un débat ancien et sensible en Afrique : celui de la souveraineté sur les ressources naturelles face aux intérêts des entreprises étrangères. En déposant une demande d’arbitrage devant un tribunal américain, la firme indienne basée à Dubaï ne fait pas que contester une décision guinéenne, elle met en avant la tension récurrente sur le continent, où la redéfinition des rapports entre États et investisseurs miniers étrangers est en cours.
Une décision unilatérale de Conakry
Le 14 mai 2025, la société Axis Minerals apprend en direct à la télévision nationale que son permis d’exploitation de la bauxite dans la région de Boffa est révoqué. Quelques jours plus tard, ses opérations sont suspendues, et ses comptes bancaires gelés par la Banque centrale guinéenne. Dans ses déclarations, l’entreprise affirme n’avoir reçu aucune explication officielle préalable, malgré plusieurs tentatives pour obtenir un dialogue avec les autorités du ministère des Mines.
En juillet, elle a donc saisi un tribunal d’arbitrage à New York pour faire valoir ses droits, arguant que la Guinée a violé les termes de l’accord d’investissement qui la liait à l’entreprise. Axis Minerals, présente en Guinée depuis plus de dix ans, produisait jusqu’à 169 000 tonnes de bauxite par jour avant la révocation de ses permis. Elle accuse Conakry d’avoir agi de manière arbitraire, sans procédure régulière, et de nuire aux investissements étrangers dans le pays.
Vers une souveraineté minière renforcée
Depuis l’arrivée au pouvoir du général Mamadi Doumbouya, en septembre 2021, la Guinée affiche une volonté claire de reprendre le contrôle de ses ressources naturelles. Plusieurs permis miniers ont été annulés ces derniers mois, dans une logique de « nettoyage » du secteur, selon les termes utilisés par certains responsables du gouvernement.
L’objectif affiché est double : récupérer les permis non exploités ou mal gérés, et réorienter les revenus miniers vers le développement national. Cette politique n’est pas nouvelle en Afrique, mais elle prend une dimension particulière dans un pays comme la Guinée, qui détient les plus grandes réserves de bauxite au monde, un minerai stratégique pour la production d’aluminium.
Une situation loin d’être isolée en Afrique
Le cas Axis Minerals n’est pas unique. Plusieurs pays africains, dans un mouvement de reconfiguration économique et politique, ont récemment remis en question des accords miniers passés avec des multinationales. Voici quelques précédents marquants. En RDC, l’État a annulé en 2021 un important contrat minier signé avec l’homme d’affaires israélien Dan Gertler via sa société Ventora Development. Les autorités congolaises accusaient le groupe d’avoir acquis ses actifs dans des conditions opaques, au détriment de l’intérêt national.
Ce litige s’est également déplacé sur le terrain de l’arbitrage international. En 2019, le gouvernement zambien a placé sous administration la société Konkola Copper Mines (KCM), détenue majoritairement par la multinationale indienne Vedanta Resources. Lusaka reprochait à l’entreprise des manquements à ses obligations contractuelles, notamment environnementales. Vedanta a, là aussi, entamé une procédure d’arbitrage pour contester la décision.
Des arbitrages aux enjeux politiques et financiers
En Tanzanie, en 2017, le gouvernement de John Magufuli avait infligé une amende record de 190 milliards de dollars à Acacia Mining, filiale de Barrick Gold, pour fraude fiscale. La société avait été accusée de sous-déclarer ses exportations d’or. Ce litige s’est finalement réglé par un accord en 2019, prévoyant un partage plus équitable des bénéfices avec l’État tanzanien.
Ces conflits ne relèvent pas uniquement du droit commercial ou des accords d’investissements bilatéraux. Ils traduisent aussi un changement de paradigme : de plus en plus de gouvernements africains cherchent à redéfinir la place des multinationales dans l’exploitation des ressources, à mieux encadrer les pratiques, et à s’assurer que les populations locales bénéficient des richesses extraites.
Mais ces réformes, souvent bien accueillies dans les opinions publiques, peuvent avoir des conséquences importantes sur l’attractivité économique du pays. Le recours à l’arbitrage international, comme c’est le cas avec Axis Minerals, expose les États à de lourdes sanctions financières en cas de décision défavorable.
Un système d’arbitrage contesté
Le système d’arbitrage international, souvent dominé par des tribunaux basés dans des pays occidentaux, est de plus en plus critiqué par les pays africains. Beaucoup y voient un mécanisme biaisé en faveur des multinationales, au détriment de la souveraineté nationale. Des voix s’élèvent pour réclamer des mécanismes alternatifs, régionaux ou multilatéraux, plus équilibrés.
L’Union africaine a d’ailleurs lancé des réflexions sur la mise en place d’un mécanisme africain de règlement des différends commerciaux, pour réduire la dépendance à des juridictions comme celles de Londres, Paris ou New York.
Quel avenir pour Axis Minerals en Guinée ?
La procédure d’arbitrage lancée par Axis Minerals pourrait durer plusieurs années. En attendant, l’entreprise reste à l’arrêt, et son avenir en Guinée semble compromis, sauf retournement de situation. Conakry, de son côté, poursuit son plan de réorganisation du secteur minier et n’a, à ce jour, pas répondu officiellement aux accusations portées par l’entreprise.
Ce bras de fer fait ressortir une problématique importante pour l’avenir du continent : comment concilier souveraineté économique, attractivité pour les investisseurs et bénéfices réels pour les populations locales ? La réponse à cette équation conditionnera en grande partie la trajectoire de développement de l’Afrique dans les décennies à venir.