Cobalt : la RDC joue la carte du suspense pour peser sur les prix mondiaux


Lecture 4 min.
Des mines
Des mines

En gelant ses exportations de cobalt, la RDC a fait décoller les prix mondiaux. À l’approche du 22 juin, Kinshasa cultive l’incertitude et envisage des quotas pour peser durablement sur un marché stratégique. Plus qu’un simple ajustement commercial, une manœuvre à la croisée de l’économie, de la géopolitique et de l’ambition industrielle.

Premier producteur mondial de cobalt, la République Démocratique du Congo (RDC) s’impose comme un acteur central dans l’équilibre du marché international de ce métal stratégique, essentiel pour les batteries de véhicules électriques. Depuis la suspension surprise de ses exportations en février 2025, Kinshasa orchestre habilement une stratégie d’incertitude pour peser sur les prix. À l’approche de la fin de la suspension prévue le 22 juin, le gouvernement congolais évoque désormais des quotas d’exportation et même une éventuelle prolongation de l’embargo. Une manœuvre économique, mais aussi politique, dans un contexte de surproduction mondiale portée par des géants comme le chinois CMOC.

Une suspension qui fait bondir les prix

En décidant le 22 février 2025 de geler ses exportations de cobalt pour quatre mois, la RDC a immédiatement provoqué un électrochoc sur les marchés. Le prix de la tonne est passé de 21 000 dollars fin février à plus de 33 000 dollars mi-mai, soit une hausse de plus de 50 %. Cette flambée illustre à quel point le pays, qui fournit à lui seul plus de 70 % du cobalt mondial, peut influencer les cours. L’interdiction, justifiée par la nécessité de réguler une offre excessive, visait à contrer la chute des prix provoquée par une surproduction, notamment en provenance des mines congolaises et indonésiennes.

Kinshasa entretient le flou, les marchés retiennent leur souffle

Depuis l’annonce de cette suspension, les autorités congolaises se gardent bien de donner une ligne claire. Lors du Cobalt Congress de Singapour, le ministre des Mines Kizito Pakabomba a déclaré que le gouvernement « réexamine » l’embargo. Ces mots laissent planer le doute sur une éventuelle levée ou prorogation de la mesure. Cette stratégie du silence calculé, justifiée par la « sensibilité des marchés » selon Kinshasa, entretient une tension propice à maintenir les prix élevés. D’autant que ni CMOC, ni Glencore, les deux principaux producteurs sur le sol congolais, n’ont ralenti leurs activités. Cette reprise fait peser le risque d’un afflux massif de cobalt si les exportations reprennent sans encadrement.

Des quotas pour un contrôle durable du marché

Pour éviter une nouvelle chute des prix en cas de reprise des exportations, les autorités congolaises prévoient désormais d’instaurer des quotas. Selon Patrick Luabeya, président de l’Autorité de régulation et de contrôle du marché des substances minérales stratégiques (ARECOMS), ces quotas permettront de mieux contrôler les volumes mis sur le marché international. Une manière de garder la main sur l’offre mondiale et de limiter l’influence des acteurs étrangers comme le chinois CMOC, qui prévoit une production record au premier trimestre 2025. Avec près de 53 % de la production mondiale en 2024, l’entreprise chinoise représente un concurrent direct à la volonté congolaise de régulation.

Au-delà des prix, l’enjeu d’une industrialisation locale

Derrière la stratégie conjoncturelle de contrôle des prix, Kinshasa affiche aussi une ambition plus structurelle : celle de favoriser une industrialisation locale autour du cobalt. Le président Félix Tshisekedi a évoqué récemment la nécessité de « pérenniser l’équilibre du marché » tout en « posant les bases d’une industrialisation durable ». Si les contours de cette ambition restent flous, elle traduit une volonté de ne plus se contenter d’exporter la matière brute, mais d’en tirer une valeur ajoutée sur place, à travers des partenariats industriels et une montée en compétence locale.

La RDC à la croisée des chemins

En imposant une suspension de ses exportations, puis en envisageant des quotas ou une prolongation de l’embargo, la RDC montre qu’elle entend utiliser son poids stratégique pour reprendre le contrôle d’un marché vital à la transition énergétique mondiale. Reste à savoir si cette stratégie portera ses fruits à long terme, entre fluctuations des cours, intérêts des multinationales et pression sur les stocks. Le 22 juin, date d’échéance de l’embargo, sera donc scruté avec attention par les acteurs du marché. Car du choix congolais dépendra l’équilibre – ou la volatilité – du cobalt pour les mois à venir.

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News