Togo : gare à celui qui cherche à tourner la page Gnassingbé !


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Le Président togolais, Faure Gnassingbé
Le Président togolais, Faure Gnassingbé

Depuis plusieurs décennies, le Togo semble enfermé dans une boucle historique où alternent répressions, espoirs démocratiques avortés et mobilisation citoyenne. L’arrestation récente de deux militants du mouvement « Tournons la Page » (TLP) vient rappeler que, malgré les discours sur le progrès et la stabilité, le régime togolais peine à tolérer la moindre contestation. Armand Agblézé et Oséi Agbagno, deux jeunes activistes, ont été interpellés le 22 août et conduits au Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC), sans qu’aucun motif précis ne leur ait été communiqué. Une pratique devenue tristement banale dans un pays où l’état de droit vacille sous le poids d’un pouvoir étouffant.

À première vue, ces arrestations pourraient sembler anecdotiques : deux jeunes militants arrêtés lors d’une énième opération de routine des services de sécurité. Mais ce serait ignorer le contexte, et surtout le rôle croissant que joue la société civile dans la vie politique togolaise. Tournons la Page est loin d’être un groupe marginal. C’est aujourd’hui l’une des rares organisations actives, visibles, et résolument critiques envers le régime de Faure Gnassingbé. Sa seule présence sur le terrain dérange un pouvoir qui préfère les opposants silencieux et les citoyens dociles.

Soupçon de connivence avec des forces obscures

Les accusations à peine voilées de « tentative de déstabilisation » brandies contre ces militants s’inscrivent dans une logique bien rodée : criminaliser l’engagement civique pour mieux le neutraliser. Depuis des années, les autorités togolaises recourent à la même mécanique. Toute voix dissidente est aussitôt soupçonnée de connivence avec des forces obscures. Mais qui, ici, cherche vraiment à déstabiliser le pays ? Ceux qui réclament un État de droit, une alternance pacifique et une véritable démocratie ? Ou ceux qui verrouillent le pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, et usent de la peur comme principal outil de gouvernance ?

Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, après la mort de son père Gnassingbé Eyadéma, règne sur un Togo où l’alternance n’est encore qu’un mirage. Vingt ans de pouvoir plus tard, les promesses de réformes constitutionnelles, de réconciliation nationale et de modernisation politique sont restées, au mieux, cosmétiques. La société civile, en particulier des mouvements comme TLP, représente l’un des derniers remparts face à une dérive autoritaire rampante. C’est précisément pour cela qu’elle est ciblée.

Risque d’ouvrir la voie à une contestation beaucoup plus radicale

Les propos de Brigitte Ameganvi, membre du bureau exécutif de TLP international, sont sans équivoque. Elle parle d’une stratégie délibérée visant à impliquer les militants dans un faux complot, pour mieux les museler. Une méthode déjà utilisée dans d’autres pays autoritaires : transformer des défenseurs des droits humains en ennemis de la nation. Les précédents ne manquent pas, même au sein du mouvement. Un proche collaborateur de David Dosseh, coordinateur national de TLP, a déjà été arrêté à plusieurs reprises, sans jamais qu’aucune charge ne tienne devant la justice. Mais la répétition de ces arrestations arbitraires finit par épuiser les énergies militantes, décourager les vocations, et installer un climat de peur dans les esprits.

Si les autorités togolaises persistent à ignorer les appels de la société civile et à réprimer toute voix critique, elles prennent le risque d’ouvrir la voie à une contestation beaucoup plus radicale. Le peuple togolais aspire, comme tant d’autres en Afrique, à tourner la page d’une gouvernance patrimoniale et répressive. Le nom de Gnassingbé symbolise aujourd’hui, pour beaucoup, cette continuité du pouvoir sans partage, ce refus de la remise en cause, cette peur maladive de l’alternance. Et plus le régime s’acharne sur les militants pacifiques, plus il alimente cette envie de rupture.

Libération d’Armand Agblézé et Oséi Agbagn un premier pas ?

Il serait temps, pour le Togo, de faire un choix historique. Celui de rompre avec les réflexes autoritaires du passé. Celui de permettre une véritable expression démocratique, où l’opposition ne serait pas synonyme d’ennemi intérieur. Celui, enfin, de reconnaître que la jeunesse togolaise, représentée par des mouvements comme TLP, ne demande qu’une chose : participer à la construction d’un avenir plus juste, plus libre, plus digne. Mais pour cela, il faut plus que des mots. Il faut des gestes forts. La libération immédiate et sans condition d’Armand Agblézé et Oséi Agbagno serait un premier pas.

Le respect des droits fondamentaux des citoyens togolais en serait un autre. Et surtout, une ouverture réelle au dialogue, à la critique, à l’altérité, permettrait enfin au Togo d’amorcer sa transition démocratique. Le régime de Faure Gnassingbé peut-il devenir l’artisan de cette transformation, ou choisira-t-il de rester figé dans un autoritarisme d’un autre âge ? L’histoire jugera. Mais pour l’instant, c’est la société civile qui écrit, courageusement, les premières lignes de ce nouveau chapitre.

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