Togo : le vernis démocratique d’une autocratie enracinée


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Le Président du Togo, Faure Gnassingbé
Le Président du Togo, Faure Gnassingbé

Ce samedi 3 mai 2025, le Togo a ouvert une nouvelle page de son histoire politique. La IVe République est définitivement enterrée, et sur son tombeau s’élève désormais une Ve République dont les institutions sont taillées sur mesure pour le prince du moment, Faure Gnassingbé, désormais plus fort que jamais.

La prestation de serment de Faure Gnassingbé, ce 3 mai 2025, comme président du Conseil, marque moins l’avènement d’un régime parlementaire que l’ultime manœuvre d’un homme au pouvoir depuis vingt ans pour se maintenir indéfiniment à la tête de l’État. Sous couvert d’un changement constitutionnel habilement orchestré, le Togo s’enfonce dans un autoritarisme légaliste où les formes de la démocratie servent à en nier le fond.

Une Constitution taillée sur mesure et imposée par une Assemblée monocolore

Cette réforme de la Constitution, adoptée sans consultation populaire et entérinée par un Parlement monochrome, confère à Faure Gnassingbé une position inédite de chef d’un exécutif consolidé, sans contre-pouvoirs réels. Le poste de président de la République devient symbolique, vidé de toute substance, tandis que la direction du gouvernement revient au chef du parti majoritaire, soit lui-même. Ce même samedi 3 mai, Jean-Lucien Kwassi Savi de Tové, 86 ans, ancien opposant et ex-ministre du Commerce, a été élu par les députés et sénateurs réunis et devient ainsi le nouveau président de la République, à titre tout juste honorifique. Seul candidat en lice, son élection n’a été qu’une simple formalité. Une telle reconfiguration du régime, taillée sur mesure, réduit à néant le principe même d’alternance.

Il ne s’agit pas ici d’un simple ajustement institutionnel, mais d’un coup de force à froid, validé par les urnes sans véritable compétition et par des institutions inféodées. Les élections législatives et sénatoriales d’avril 2024, largement boycottées par l’opposition, ont permis au parti présidentiel de rafler la quasi-totalité des sièges. Dans ce contexte, parler de parlementarisme est un abus de langage : le pluralisme y est purement théorique, la représentation du peuple illusoire.

Faure Gnassingbé parachève ainsi un long processus de concentration du pouvoir, amorcé dès son accession contestée à la Présidence en 2005 après le décès de son père. Vingt ans plus tard, le Togo est toujours dirigé par le même clan et l’appareil d’État fonctionne comme une extension du pouvoir personnel. Ce n’est pas l’État qui gouverne, mais une famille et son cercle d’alliés, consolidés par les armes, l’argent et la peur.

Une opposition debout, mais bâillonnée

Face à cela, l’opposition est à bout de souffle. Privée d’accès aux médias publics, harcelée par la justice, écartée des processus électoraux ou réduite à manifester dans des rues quadrillées par la police, elle peine à exister. Les quelques voix dissidentes qui s’élèvent encore – Nathaniel Olympio, Paul Dodji Apévon, Jean-Pierre Fabre – sont systématiquement marginalisées, présentées comme des fauteurs de troubles par un pouvoir qui se proclame garant de la stabilité. Mais la stabilité sans liberté n’est qu’un calme imposé.

Le pire, dans cette dérive institutionnelle, c’est qu’elle s’enveloppe du langage de la modernité politique. On parle de « régime parlementaire », de « rationalisation du pouvoir », de « refondation démocratique ». En réalité, le peuple togolais est privé du droit fondamental de choisir librement ses dirigeants. Le suffrage universel direct pour l’élection présidentielle est aboli. Le débat démocratique est étouffé. Et le pouvoir s’auto-reproduit à l’infini sous une façade pseudo-républicaine.

Le Togo ne manque pas de talents, ni d’élan citoyen. Mais tant que son avenir institutionnel sera confisqué par des artifices constitutionnels destinés à protéger un homme plutôt qu’à servir une nation, il ne connaîtra ni progrès politique réel ni paix durable qui ne peut se construire que dans un dialogue franc et sincère entre les fils du pays. Faure Gnassingbé consolide peut-être son trône ; mais il fragilise irrémédiablement l’idée même de démocratie dans son pays.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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