Mohamed Cheikh : de Montreuil aux saveurs d’Algérie, portrait d’un grand chef


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Mohamed Cheikh
Mohamed Cheikh

Entre tradition familiale et innovation gastronomique, le vainqueur de Top Chef 2021 puise dans ses racines algériennes pour créer une cuisine méditerranéenne sans frontières. Récemment de retour d’Algérie, il continue d’explorer le patrimoine culinaire de ses origines.

Dans le paysage culinaire français contemporain, peu de chefs incarnent aussi bien que Mohamed Cheikh la richesse des héritages familiaux transmutés en excellence gastronomique. Né le 14 octobre 1992 à Montreuil (Seine-Saint-Denis) dans une famille algérienne, ce jeune chef de 32 ans a su transformer les souvenirs olfactifs et gustatifs de son enfance en une signature culinaire reconnaissable entre mille.

L’histoire de Mohamed Cheikh commence dans les allées du marché de Montreuil, un marché connu pour ses produits du monde entier en raison d’un grand multiculturalisme au sein de cette ville de la banlieue de Paris. C’est là, aux côtés de sa famille algérienne, que le futur chef découvre les saveurs qui définiront plus tard son identité culinaire.

Aux côtés de sa grand-mère, il apprend à concocter les plats algériens les plus connus, le couscous, le mesfouf, la chorba et bien d’autres plats. Cette transmission intergénérationnelle forge chez le jeune Mohamed une philosophie de la cuisine basée sur le partage et la convivialité, valeurs centrales de la culture algérienne.

Dès le CM2, Mohamed Cheikh sait qu’il veut devenir cuisinier, une vocation précoce confirmée par un stage décisif au Petit Bofinger à Vincennes alors qu’il était encore au collège. Cette certitude le mène naturellement vers une formation professionnelle au lycée hôtelier Montaleau de Sucy-en-Brie, où il décroche en 2010 son BEP métiers de l’hôtellerie et de la restauration.

L’excellence française rencontre l’âme algérienne

Le parcours professionnel de Mohamed Cheikh illustre l’intégration réussie de ses racines algériennes dans l’exigence de la haute gastronomie française. Pendant sa formation, il effectue un stage au Lucas Carton (2 étoiles), restaurant d’Alain Senderens, avant d’enchaîner les postes prestigieux : commis au Royal Monceau, chef de partie dans des restaurants du groupe Yannick Alléno, puis à La Bauhinia du palace Shangri-La Paris.

Cette ascension fulgurante le mène à devenir chef du restaurant Le Lounge à La Défense à seulement 23 ans, un exploit rare dans un milieu particulièrement exigeant. Mais c’est sa participation à Top Chef qui révèle véritablement au grand public sa personnalité attachante et son talent exceptionnel.

Top Chef 2021 : la consécration d’une double culture

Durant cette saison 12 de Top Chef, diffusée en pleine pandémie, il séduit par son talent mais aussi son caractère amusant, il est bavard, drôle et n’hésite pas à prendre des risques.

L’épisode marquant reste sans conteste la « guerre des restos », où il crée avec le candidat Matthias Marc un restaurant d’inspiration berbère, nommé Nomade. Malgré un incident spectaculaire – un début d’incendie pendant les préparatifs – le binôme remporte l’épreuve, démontrant la capacité de Mohamed à puiser dans ses origines pour créer une expérience culinaire unique.

Sa victoire finale face à Sarah Mainguy consacre sa capacité à raconter une histoire à travers ses plats, celle d’un héritage familial algérien sublimé par l’excellence française.

Le talent et la personnalité de Mohamed Cheikh ne passent pas inaperçus aux plus hauts niveaux de l’État français. En août 2022, il fait partie de la délégation de personnalités accompagnant le Président Emmanuel Macron lors de son voyage officiel en Algérie, témoignage de son rôle d’ambassadeur de la gastronomie franco-algérienne et de la culture du dialogue entre les deux pays.

Meïda : l’aboutissement d’une vision culinaire

Après des expériences dans des restaurants éphémères comme Manzili au jardin des Plantes de Paris (où « Manzili » signifie « ma maison » en arabe littéraire) et Babor sur une péniche parisienne, Mohamed Cheikh concrétise sa vision avec l’ouverture en juillet 2024 de Meïda à Saint-Ouen.

Meïda
Meïda

Le nom « Meïda » (qui signifie « table » en arabe littéral) incarne parfaitement la philosophie du chef, celle d’une cuisine méditerranéenne sans frontières où les produits sont minutieusement sourcés et la carte inspirée des voyages du chef, de ses souvenirs d’enfance et de sa double-culture.

Dans ce restaurant aux tons chauds et à la devanture bleu Klein, Mohamed Cheikh propose un voyage à travers toutes les senteurs du pourtour méditerranéen : l’Italie, la Grèce, la Turquie, l’Espagne, le Maghreb en passant par la Provence, tout en maintenant des prix accessibles.

Deux retours aux sources en Algérie : une quête permanente d’authenticité

Premier voyage : mars 2025, durant le Ramadan. En mars 2025, durant le mois de Ramadan, Mohamed Cheikh a effectué un premier voyage particulièrement émouvant et symbolique dans son pays d’origine. Ce périple de plusieurs jours dans le nord de l’Algérie l’a mené de Béjaïa à Oran en passant par Relizane, Mostaganem et Tizi-Ouzou.

Ce retour aux sources, qu’il a documenté sur ses réseaux sociaux, lui a permis de redécouvrir l’authenticité de ses origines. « L’Algérie : mes origines, mes racines... », écrit-il avec émotion sur Instagram. À Oran, sa ville d’origine familiale, il retrouve les rues dynamiques de cette capitale de l’ouest algérien avec une joie non dissimulée.

Durant ce voyage, il découvre notamment l’inimitable Jben Elkfas, un fromage de Bou Saâda reconnu internationalement, lors d’une halte chez Maison Khazana, fromagerie algéroise médaillée d’or au Mondial du Fromage à Tours en 2023.

Le chef redécouvre les spécialités locales, comme le célèbre créponné d’Alger, cette glace dense et onctueuse aux arômes intenses qu’il déguste dans une échoppe d’Alger-Centre, et les grillades nocturnes traditionnelles, le « chwa », qu’il savoure chez Tamime, célèbre grillardin de Relizane. « Le Ramadan là-bas, c’est la générosité, la fraternité et une douceur de vivre unique. Des saveurs de folie, des moments de partage et un vrai retour aux sources« , confie-t-il.

Second voyage : septembre 2025, à la découverte de la street food

Quelques mois plus tard, en septembre 2025, Mohamed Cheikh entreprend un nouveau voyage en Algérie, cette fois-ci avec un focus particulier sur la street food algérienne. De nouveau dans l’Oranie, notamment à Relizane et Mostaganem, le chef franco-algérien part à la rencontre des artisans et cuisiniers de rue pour redécouvrir les spécialités emblématiques de son enfance.

Ce voyage lui permet notamment de découvrir des créations culinaires uniques comme le « sfenj-chamia », qu’il décrit comme « une fusion entre deux spécialités sucrées algériennes » – un curieux mélange de beignet de semoule fine (sfenj ou khfaf) garni de chamia (kalb el-louz). « Moelleux à l’extérieur, fondant au milieu, avec la douceur irrésistible de la halwa chamia… un pur délice à partager !« , s’enthousiasme-t-il sur TikTok.

Il redécouvre également la mahjouba (ou mhadjeb) à Mostaganem, cette « crêpe fine de semoule farcie aux tomates et oignons épicés« , dont il explique les origines : « La mhadjeb est originaire des hauts plateaux algériens. Jadis préparée par les familles pour nourrir les voyageurs, elle est devenue aujourd’hui une icône de la street food algérienne. »

Ces deux voyages témoignent de l’attachement profond et permanent du chef à ses origines, et de sa volonté constante de puiser dans ce patrimoine culinaire pour enrichir sa créativité. Ils marquent aussi l’importance de cette transmission culturelle qu’il souhaite perpétuer, entre tradition familiale et innovation gastronomique.

L’avenir : diversification et transmission

Ma Cuisine méditerranéenne Mohamed Cheik
Ma Cuisine méditerranéenne Mohamed Cheik

Son livre « Ma Cuisine méditerranéenne« , publié aux éditions Solar en 2022, témoigne de sa volonté de transmission et de partage, perpétuant ainsi l’héritage reçu de sa grand-mère tout en l’adaptant aux codes de la cuisine contemporaine. Parallèlement à Meïda, Mohamed Cheikh développe de nouveaux concepts, notamment un restaurant de street food baptisé Chick’Chill, prévu pour 2025.

Comme le confie malicieusement Mohamed Cheikh : « le bassin méditerranéen est l’endroit qui a la meilleure culture culinaire au monde« . Un credo qu’il continue de porter, enrichi désormais par ces voyages répétés en Algérie qui nourrissent constamment sa créativité et renforcent ce lien émotionnel indéfectible avec la terre de ses origines, source inépuisable d’inspiration culinaire et de découvertes gustatives.

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