
Le Maroc traverse, depuis plusieurs, jours une vague de contestation d’une intensité inédite. Alors que les forces de l’ordre sont intervenues mardi 30 septembre 2025 dans plusieurs régions du royaume pour encadrer les manifestations, le bilan officiel fait état de 263 blessés parmi les forces de sécurité et 409 personnes placées en garde à vue, selon le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Rachid El Khalfi. Dans un climat de crispation grandissante, cette mobilisation portée en grande partie par une jeunesse connectée, notamment le mouvement Gen Z 212, questionne les capacités de réponse de l’État, tant sur le plan sécuritaire que politique.
Des affrontements violents et un lourd tribut pour les forces de l’ordre
Au Maroc, les manifestations, qui ont débuté pacifiquement dans plusieurs villes, ont pris un tournant inquiétant dans certaines zones, notamment à Aït Amira, Oujda, Agadir, Tiznit ou encore Inezgane-Aït Melloul, où des affrontements ont éclaté. Des groupes de protestataires auraient eu recours à des armes blanches, des cocktails Molotov et des jets de pierres, provoquant des incendies, des pillages et des dégradations massives d’infrastructures publiques et privées.
Les chiffres communiqués par le ministère sont parlants : 142 véhicules des forces de l’ordre endommagés, 20 véhicules de particuliers, et des dizaines de commerces et bâtiments publics attaqués. Rien qu’à Oujda, 51 agents blessés, 40 véhicules et plusieurs établissements vandalisés ont été recensés. À Skhirat-Témara, 44 membres des forces de sécurité ont été blessés, et 60 véhicules endommagés. La violence s’est également étendue à des localités plus petites, de Nador à Beni Mellal, en passant par Khénifra, Guelmim, Meknès et Casablanca.
Des arrestations massives et un cadre légal en question
Selon le ministère de l’Intérieur, les interventions ont été menées dans le respect des lois en vigueur, avec pour double objectif de garantir la sécurité publique et la liberté d’expression. Toutefois, 409 manifestants ont été placés en garde à vue à la demande du parquet. D’autres ont été interpellés pour vérification d’identité, puis relâchés après procédure. Ces arrestations suscitent un débat sur la proportionnalité des réponses sécuritaires, alors même que certains rassemblements avaient un caractère pacifique.
Des ONG locales et internationales ont commencé à documenter les cas de blessés parmi les manifestants et les conditions de détention, interrogeant le respect des libertés fondamentales dans le cadre de la gestion de crise. Le mouvement Gen Z 212, né sur les réseaux sociaux, notamment Telegram, fédère une jeunesse marocaine formée, connectée et exigeante. Leur colère, à l’origine circonscrite à la gestion hospitalière, notamment après des décès de femmes enceintes à Agadir, s’est rapidement élargie à une critique plus globale des politiques publiques : chômage, inégalités sociales, dégradation des services publics, coût de la vie.
Une jeunesse structurée, des revendications claires
Ce qui frappe dans ce mouvement, c’est l’absence de structure partisane et le vocabulaire technocratique utilisé : budgets, indicateurs, réallocation des dépenses, efficacité des politiques publiques. Les jeunes protestataires réclament des actes mesurables, non des discours. Le slogan « Des stades ou des hôpitaux ? » est devenu viral, résumant l’amertume face à des projets d’envergure comme le Mondial 2030, alors que les hôpitaux de proximité manquent de personnel et d’équipement.
La démission du conseiller municipal de Rabat, Moussa Laarif (Parti Marocain Libéral), marque un tournant symbolique. Il devient le premier élu à afficher ouvertement son soutien au mouvement Gen Z 212, appelant à un « dialogue national sérieux » et à une réforme structurelle des politiques sociales. En parallèle, une réunion d’urgence entre les partis de la majorité (RNI, Istiqlal, PAM) a été convoquée par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, sans qu’aucune mesure forte n’en ressorte. Une audition du ministre de la Santé est prévue au Parlement, mais pour de nombreux jeunes, le mal est plus profond : la défiance envers les institutions ne cesse de croître.
Une fracture générationnelle assumée
La mobilisation actuelle ne se contente pas de défier le gouvernement ; elle révèle une rupture générationnelle. La Gen Z marocaine ne se reconnaît ni dans les partis politiques classiques ni dans les syndicats traditionnels. Elle exige des résultats concrets, des politiques évaluées, des budgets réalloués, une égalité d’accès aux droits fondamentaux. La réaction des autorités, perçue comme essentiellement répressive, risque d’aggraver le fossé. Les scènes d’ambulances bloquées, de blessés empêchés d’être évacués, ou de citoyens filmant des violences policières nourrissent un récit de victimisation collective, qui alimente encore davantage la mobilisation.