Les médias Bolloré tirent à boulets rouges sur tout ce qui touche l’Algérie : décryptage d’une stratégie éditoriale


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Illustration Visas pour les étudiants algériens vs médias Bolloré
Illustration Visas pour les étudiants algériens vs médias Bolloré

Alors que les relations diplomatiques franco-algériennes restent tendues, les médias du groupe Bolloré – CNews, Europe 1 et le JDD – multiplient les angles d’attaque contre l’Algérie, transformant chaque sujet en occasion de dénigrement systématique. Un article du JDD sur l’ouverture de nouvelles lignes aériennes illustre parfaitement cette dérive éditoriale où faits tronqués et raccourcis trompeurs remplacent l’information objective.

Un article économique transformé en réquisitoire

L’article du JDD du 4 décembre 2024 sur l’ouverture de lignes aériennes entre Strasbourg, Nantes et Alger révèle une mécanique bien rodée. Le journal annonce l’ouverture de deux nouvelles liaisons aériennes entre la France et l’Algérie, mais dès les premières lignes, il juxtapose cette information économique positive avec la condamnation du journaliste Christophe Gleizes : « Si les relations diplomatiques entre les deux pays ne sont pas au beau fixe – la condamnation en appel du journaliste Christophe Gleizes enfonçant davantage le clou cette semaine –, les connexions aériennes, elles, foisonnent« . Cette technique de contamination éditoriale vise à empêcher toute perception positive des relations bilatérales.

Mais le cœur de la manipulation réside dans l’utilisation fallacieuse des chiffres. L’article affirme : « En 2023, 13 millions d’euros d’aides au démarrage et d’aides mercatiques pour de nouvelles connexions aériennes ont été dépensés par les aéroports français – comptant moins de 3 millions de passagers annuels. » Le lecteur comprend naturellement que ces 13 millions concernent les nouvelles lignes vers l’Algérie. Or, ce montant représente en réalité le TOTAL des subventions accordées à TOUS les petits aéroports français pour l’ENSEMBLE de leurs  nouvelles lignes en 2023, toutes destinations confondues – Europe, Afrique, lignes domestiques. Le JDD crée ainsi une association trompeuse  en laissant croire que cette somme est essentiellement destinée au réseau algérien.

L’article insiste ensuite sur le fait que ces aides sont « généreuses » et représentent « une petite fortune« , pour le « plus grand bonheur des passagers, moins des payeurs français« . Cette rhétorique vise à opposer artificiellement les intérêts de la diaspora algérienne, à ceux des contribuables français, recyclant le vieux discours de l’immigration-coût. En omettant de préciser que la majorité des passagers sont des franco-algériens et des touristes français qui vont decouvrir l’Algérie. Ce sont donc aussi les « payeurs français » qui utilisent ces lignes.

L’omission calculée des faits positifs

En outre, ce que l’article « oublie » aussi soigneusement de mentionner, c’est que les vols vers l’Algérie affichent des taux de remplissage exceptionnels, souvent supérieurs à 90%, garantissant des recettes maximales aux aéroports régionaux. Un avion plein génère des redevances d’atterrissage, de stationnement et surtout des taxes passagers qui sont directement bénéficiaires pour l’équilibre financier des petites plateformes aéroportuaires. Ainsi, ces lignes ouvertes avec l’Algérie, loin d’être un « fardeau« , représentent une source de revenus stable et fiable, cruciale pour l’économie des aéroports régionaux qui peinent habituellement à attirer du trafic régulier. Pour certains petits aéroports, ces lignes sont mêmes indispensable à leur maintien en activité.

La critique de la Cour des comptes citée par l’article – selon laquelle les retombées économiques locales sont « modestes » car « la plupart des passagers utilisent l’aéroport pour quitter la région » et non pour y venir en touriste – concerne en réalité l’ensemble du trafic VFR (visite famille et amis) et non spécifiquement l’Algérie. Ce constat s’applique tout autant aux vols vers le Portugal, la Pologne ou la Roumanie. En l’appliquant sélectivement dans un article uniquement consacré à l’Algérie, le JDD suggère que ce trafic est particulièrement non rentable, sans mentionner les emplois maintenus dans les aéroports ou les taxes perçues.

La fabrication de polémiques artificielles : le cas des visas étudiants

Cette stratégie de déformation systématique s’est manifestée de manière spectaculaire en octobre 2025 avec l’affaire des visas étudiants algériens. Le 29 septembre, l’ambassade de France à Alger publie un message simple : 8 351 étudiants algériens ont obtenu un visa pour la rentrée 2025, « un peu plus de 1 000 » de plus qu’en 2024. Un fait administratif banal, le retour au niveau de 2023 après une baisse en 2024, devient dans la sphère Bolloré le point de départ d’une campagne orchestrée.

Europe 1 va titrer sur le « tapis rouge », CNews insiste sur des visas délivrés « en dépit des tensions ». Puis, coup de théâtre : Le 3 octobre, un sondage CSA est publié simultanément par CNews, Europe 1 et le JDD : « 76 % des Français veulent suspendre les visas aux Algériens tant que les expulsions ne sont pas reprises« . Cette synchronisation parfaite entre les trois médias du groupe crée un effet de saturation médiatique, transformant une information administrative classique en controverse nationale.

Sur les plateaux, les invités se succèdent avec les mêmes éléments de langage : sur CNews, Éric Ciotti parle d' »affaissement de la France face à un pouvoir dictatorial » ; sur Europe 1, on évoque une « filière d’immigration légale » ou la « diplomatie de la carpette ». Aucune contextualisation n’est fournie : ni le fait que les étudiants marocains sont plus nombreux (35 700) que les Algériens (27 700) en France, ni que ce visa étudiant est un titre encadré par Campus France, conditionné par l’acceptation universitaire et les moyens d’existence. Et pas de référence non plus aufait que le système de santé français repose sur les étrangers en général et les médecins algériens en particulier.

Une ligne éditoriale obsessionnelle

Cette approche biaisée s’inscrit dans une stratégie systématique des médias Bolloré. Sur CNews, les dérives sont quotidiennes. Thomas Bonnet a ainsi prétendu que l’annulation du concert du Nouvel An à Paris était due au match de l’Algérie en Coupe d’Afrique, craignant des « mouvements de foule« , alors que le match se joue à 2200 kilomètres de là, au Maroc. Une invention pure et simple pour alimenter la peur. Europe 1 n’est pas en reste. Selon Algérie Patriotique, une journaliste de la station aurait non nié l’existence de massacres durant la colonisation. Et cela sans parler des prises de position délirante à l’antenne comme celle de l’ancienne ministre Noëlle Lenoir assimilitant tous les algériens à des terroristes en déclarant sur CNews « Des millions peuvent sortir un couteau dans le métro ».

Des anciens collaborateurs de CNews ont révélé les méthodes internes : usage systématique de prénoms comme Mohamed ou Abdelkader pour attiser la peur, pression pour « trouver » de l’Islam partout, et même consigne de filmer djellabas et boucheries halal à Roubaix faute de témoignages explique La Nouvelle République Algérie. Cette fabrique de la peur transforme chaque fait divers impliquant un Algérien en preuve d’une supposée menace existentielle, créant une véritable machine de propagande, structurée pour fabriquer de toutes pièces un « péril musulman » permanent. L’objectif assumé est aussi d’empécher un rapprochement diplomatique entre les deux rives de la Méditerranée.

Le contraste avec la vraie diplomatie

Cette obsession anti-algérienne des médias Bolloré ne reflète pas la complexité des enjeux géopolitiques actuels. Elle alimente plutôt une vision nostalgique et revancharde, alignée sur les priorités de la droite dure et de l’extrême droite à l’approche de 2027 il s’agit uniquement d’une stratégie visant à maintenir une situation de crise. En transformant chaque information en munition contre l’Algérie, qu’il s’agisse de lignes aériennes commercialement rentables ou de visas étudiants encadrés, ces médias abandonnent leur mission d’information au profit d’une propagande qui dessert les intérêts mêmes de la France.

La manipulation des chiffres, l’orchestration de polémiques artificielles et la transformation systématique de faits neutres en controverses identitaires révèlent une stratégie éditoriale qui n’a plus rien à voir avec le journalisme, mais tout avec l’agenda politique de leurs propriétaires.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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