La France tourne le dos au gaz algérien : une décision coûteuse et un non sens écologique


Lecture 6 min.
Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune
Les Présidents Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune

Dans un calcul politique sur ses relations diplomatiques avec Alger, Paris privilégie désormais le GNL américain au détriment du gaz algérien. Une réorientation énergétique qui s’avère économiquement coûteuse et environnementalement contestable, alors que l’Algérie représentait un partenaire historique fiable et géographiquement proche.

La chute spectaculaire des importations françaises de gaz naturel liquéfié (GNL) algérien révèle une décision stratégique discutable de Paris. En janvier 2025, la France n’a importé que 0,098 million de tonnes de GNL algérien, contre 0,373 million de tonnes en décembre 2024, soit une diminution drastique de 73,7 % en un seul mois. Cette réorientation vers le GNL américain, présentée comme une diversification, mérite un examen critique tant sur ses implications économiques qu’environnementales.

L’Algérie, partenaire énergétique fiable et proche

L’Algérie représentait jusqu’à récemment un partenaire énergétique stable pour la France. En 2024, elle était le deuxième fournisseur de GNL français avec 3,26 millions de tonnes importées, confirmant une relation commerciale solide malgré les tensions diplomatiques périodiques. Cette position privilégiée s’explique par plusieurs avantages stratégiques.

L’Algérie se trouve à environ 1 000 kilomètres de la France par voie maritime (800 km pour Marseille – Alger) contre plus de 7 000 kilomètres pour les États-Unis. Cette distance réduite implique des coûts de transport moindres et des délais d’acheminement plus courts. Les terminaux méthaniers français (Fos Cavaou, Tonkin, Montoir-de-Bretagne et Dunkerque) sont parfaitement adaptés pour recevoir le GNL algérien, avec des décennies d’expérience opérationnelle.

Contrairement aux fluctuations géopolitiques qui affectent d’autres régions, l’Algérie maintient une production constante et des livraisons fiables, devenant même le deuxième plus grand fournisseur de gaz par pipeline vers l’Union européenne avec 30,75 milliards de mètres cubes en 2024.

L’Algérie dispose par ailleurs de réserves gazières considérables et d’une capacité de production encore sous-exploitée. Il n’y a donc aucun risque à long terme dans l’approvisionnement venant d’Algérie.

Le coût environnemental du « tout GNL américain »

Le choix français de privilégier le GNL américain au détriment du gaz algérien constitue un non-sens environnemental majeur. Les données scientifiques sont sans appel. Transporter du GNL depuis les États-Unis consomme environ 1 kWh d’énergie par m³ de gaz, soit 10 fois plus que les 0,1 kWh nécessaires pour acheminer le gaz norvégien ou algérien par gazoduc ou sur de courtes distances maritimes.

L’Agence internationale de l’énergie confirme que l’empreinte carbone du GNL est 67 % plus élevée que celle du gaz transporté par gazoduc (20 g de CO2/MJ contre 12 g de CO2/MJ). Le cabinet Carbone 4 va plus loin en estimant que l’empreinte carbone du GNL est 2,5 fois plus élevée que celle du gaz acheminé par gazoduc.

En outre, le gaz de schiste américain, qui représente 79% de la production américaine, génère entre 1,5 et 4 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que le gaz conventionnel algérien. Les fuites de méthane, un gaz 28 fois plus puissant que le CO2 sur 100 ans, représentent entre 3,6 et 7,9 % du gaz extrait.

Dans un contexte où la France s’engage vers la neutralité carbone, privilégier une source d’énergie plus polluante et plus énergivore relève de la contradiction. Les méthaniers parcourant l’Atlantique consomment du carburant fossile pour maintenir la température cryogénique (-162°C) du GNL pendant des semaines de trajet, ajoutant une empreinte carbone substantielle au bilan énergétique final.

Le surcoût économique d’une décision politique

Le passage au GNL américain implique plusieurs surcoûts structurels. La distance décuplée entre les États-Unis et la France génère des frais de transport maritime proportionnellement plus élevés. Les armateurs répercutent ces coûts sur le prix final du gaz. Le marché spot du GNL est intrinsèquement plus volatil que les contrats à long terme avec des partenaires régionaux. La France s’expose ainsi à des fluctuations de prix plus importantes.

L’industrie française, grande consommatrice de gaz naturel (33,4 millions de tonnes de CO2 émises en 2023), va subir de plein fouet ces surcoûts énergétiques. Les secteurs de l’agroalimentaire, de la chimie et de la sidérurgie voient leur compétitivité érodée par des coûts énergétiques supérieurs à ceux de leurs concurrents européens bénéficiant de sources d’approvisionnement plus proches.

Une stratégie géopolitique à courte vue

En substituant une dépendance régionale par une dépendance intercontinentale, la France fragilise paradoxalement sa sécurité énergétique. Les approvisionnements transatlantiques sont plus vulnérables aux aléas climatiques (ouragans dans le golfe du Mexique), plus exposés aux tensions commerciales internationales et plus dépendants des capacités de transport maritime limitées.

A l’évidence, la décision française semble donc davantage motivée par des considérations diplomatiques que par une analyse rationnelle des intérêts énergétiques nationaux. En privilégiant la posture politique, Paris sacrifie l’efficacité énergétique et la compétitivité économique sur l’autel de considérations à court terme. Cette approche révèle une forme d’enfermement diplomatique plutôt qu’une volonté de dialogue constructif susceptible de désamorcer les tensions bilatérales.

L’Algérie, victime d’un calcul politique

L’Algérie réagit à cette réorientation française en diversifiant ses propres débouchés. Le pays a déjà démontré sa capacité à rediriger ses flux énergétiques, notamment vers la Turquie (premier importateur avec 4,05 millions de tonnes en 2024) et l’Italie, qui s’impose de plus en plus comme le premier partenaire économique du Maghreb. La stratégie algérienne consistant à privilégier les gazoducs (moins coûteux et plus écologiques) aux dépens du GNL s’avère économiquement rationnelle et environnementalement responsable.

Cette déstabilisation des relations franco-algériennes prive l’Europe d’un partenaire énergétique fiable et géographiquement proche. Alors que l’UE cherche à réduire sa dépendance aux hydrocarbures russes, écarter l’Algérie revient à se priver d’une alternative crédible et durable. Les intérêts énergétiques français et algériens convergent pourtant naturellement : proximité géographique, complémentarité économique, et enjeux environnementaux partagés.

L’impasse d’une stratégie contradictoire

La décision française de réduire drastiquement ses importations de gaz algérien au profit du GNL américain illustre les contradictions d’une politique énergétique soumise aux aléas diplomatiques. Cette orientation génère des surcoûts économiques substantiels, aggrave l’empreinte carbone française et fragilise la sécurité énergétique nationale.

L’Algérie, partenaire énergétique naturel de l’Europe par sa proximité géographique et ses réserves importantes, se trouve pénalisée par des calculs géopolitiques à court terme. Cette situation profite essentiellement aux exportateurs américains, qui écoulent leur gaz de schiste polluant à des prix majorés par les coûts de transport intercontinental. A moins qu’Emmauel Macron n’ai passé un deal avec Trump pour augmenter les importations françaises, au détriment des comptes publics et du consommateur.

Une politique énergétique cohérente avec les objectifs climatiques français devrait privilégier les sources d’approvisionnement les moins carbonées et les plus économiques. En l’occurrence, le gaz algérien répond mieux à ces critères que le GNL américain. L’énergie est trop importante pour être otage de la politique. L’avenir énergétique français mérite une stratégie plus rationnelle qu’une substitution coûteuse et contre-productive.

Zainab Musa
LIRE LA BIO
Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News