Comment les médias du groupe Bolloré ont fabriqué une polémique médiatique sur les visas étudiants algériens


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Illustration Visas pour les étudiants algériens vs médias Bolloré
Illustration Visas pour les étudiants algériens vs médias Bolloré

En dix jours, CNews, Europe 1 et le JDD ont consacré une salve d’articles, d’extraits d’émissions et d’un sondage “tri-marques” au thème des visas étudiants algériens, avec un cadrage systématiquement négatif. Le même fait générateur, un post factuel de l’ambassade de France à Alger, est transformé en feuilleton identitaire, quand d’autres médias traitent le sujet de façon plus contextualisée. Analyse d’une orchestration qui épouse les priorités communicationnelles de la droite dure et de l’extrême droite française à l’approche de 2027.

Un post de l’ambassade, et la polémique s’emballe

Le 29 septembre, l’ambassade de France à Alger publie un message simple : 8 351 étudiants algériens ont obtenu un visa pour la rentrée 2025, « un peu plus de 1 000 » de plus qu’en 2024. Fait administratif logique pour une filière étudiante déjà structurée, l’information devient, dans la sphère Bolloré, le point de départ d’une narration de “laxisme” : Europe 1 titre sur le « tapis rouge », CNews insiste sur des visas délivrés « en dépit des tensions ». L’élévation lexicale — « tensions croissantes », « crise diplomatique » — donne le ton d’un conflit, non d’une politique d’attractivité académique.

Chambre d’écho et sondage « 360° » pour invités et lexique à charge

Le 3 octobre, un sondage CSA est publié simultanément par CNews, Europe 1 et le JDD : « 76 % des Français veulent suspendre les visas aux Algériens tant que les expulsions ne sont pas reprises ». En liant ce chiffre à l’annonce sur les visas étudiants, la triade installe une équivalence entre visa d’étude et instrument migratoire contestable, puis enchaîne les reprises en plateauTV, émission radio et publication de presse et digitales. Le procédé crée un effet de meute et écrase la nuance : le visa étudiant n’est ni un passeport pour l’irrégularité, ni une prime à l’impunité, mais un titre long séjour encadré, conditionné par l’acceptation universitaire et les moyens d’existence.

La mécanique éditoriale s’accompagne d’invités et d’éléments de langage convergents. Ainsi, sur CNews, Éric Ciotti parle d’« affaissement de la France face à un pouvoir dictatorial » ; sur Europe 1, on évoque une « filière d’immigration légale » ou la « diplomatie de la carpette ». Ces expressions assignent le visa étudiant à une controverse sécuritaire, sans chiffrage ni pédagogie sur la procédure, et dérivent le débat vers l’Algérie fauteur de troubles. Un cadrage utile aux enjeux politiques de 2027 régulièrement utilisé par Bruno Retailleau et Jordan Bardella.

Ce que montrent les traitements non polarisants

Hors périmètre Bolloré, les titres qui reprennent l’information, avec moins de mise en avant, car le sujet n’est pas une information de premier plan, expliquent la décision en la replaçant dans la crise diplomatique tout en rappelant la spécificité des visas étudiants (catégorie protégée, parcours Campus France, taux d’acceptation liés aux dossiers).

Les médias maghrébins restent sur un registre factuel. Les journaux français comme Le Monde rappelle que, malgré les tensions, la demande d’études en France demeure et que les parcours restent contraignants pour les candidats algériens. En outre, la progresion de « plus 1000 » par rapport à 2024 et un retour au chiffre de 2023.

Enfin, les 8000 étudiant algériens ne sont pas la première diaspora concernée dans les plus de 500 000 étudiants étrangers admis en France. Les étudiants marocains demeurent les plus nombreux en France (35 700 étudiants), suivis par les étudiants algériens (27 700) et chinois (23 200). Globalement, les étudiants d’Afrique subsaharienne sont d’ailleurs plus nombreux que ceux originaires du Maghreb.

Autrement dit, même fait, autre lecture : une hausse qui est un rattrapage, dans un cadre administratif balisé, non un « signal politique ». Et encore, aucun média ne regarde réellement les filières étudiantes concernées, ce qui montrerait davantage encore l’intérêt de la France pour cette jeunesse algérienne qualifiée.

Une convergence politico-médiatique assumée

L’insistance sur les mots-chocs, la synchronisation des antennes et des publications, l’adossement à un sondage commun composent une stratégie de mise à l’agenda alignée avec les priorités de la droite dure et de l’extrême droite : mettre l’Algérie au centre de la controverse migratoire pour polariser l’opinion. La surexposition de quelques jours n’informe pas tant qu’elle frappe : elle amplifie l’affect et occulte les chiffres utiles (catégorie de visa, critères, limites). À l’inverse, des traitements plus équilibrés existent, ils ne réfutent ni la crise diplomatique, ni les enjeux de retour des expulsés, mais séparent le dossier étudiant du contentieux consulaire.

La question n’est pas de nier les tensions actuelle entre la France et l’Algérie , elle est de ne pas instrumentaliser un visa d’étude, levier d’attractivité universitaire, de coopération scientifique et de rayonnement linguistique, au profit d’une mise en scène électorale. En 2027, l’efficacité des politiques migratoires, qui d’ailleurs fait de la Tunisie et non de l’Algérie le mauvais élève des politiques migratoires françaises, ne se mesurera pas à la vitesse d’un bandeau TV, mais à la clarté des critères, au suivi des parcours, et à la capacité de débat qui distingue faits et récits.

Dans le même ordre d’idée, ces médias ont bien tentés de lancé de fausses informations d’un grand mouvement menée par la GENZ 213 (en référence au mouvement marocain GENZ 212) mais en l’absence de toute manifestation, leur fakenews est tombée à l’eau.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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