L’Afrique, future superpuissance solaire mondiale : Algérie, Egypte, Maroc, les pays qui détiennent les clés


Lecture 9 min.
Energie solaire dans le Sahara Algérien
Energie solaire dans le Sahara Algérien

Le continent africain possède 40% du potentiel solaire mondial mais n’exploite qu’1% de ses capacités. Une révolution énergétique est en marche, portée par des pays aux atouts exceptionnels qui pourraient transformer l’Afrique en exportateur majeur d’énergie verte.

L’Afrique est littéralement le « continent du soleil« . Les chiffres donnent le vertige : plus de 85% du territoire africain reçoit une irradiation solaire d’au moins 2 000 kWh/m² par an, soit le double de la moyenne européenne. Les réserves théoriques d’énergie solaire du continent sont estimées à 60 millions de TWh par an – près de 40% du potentiel mondial.

Pour mettre ces chiffres en perspective, le seul désert du Sahara, avec ses 9 millions de km², pourrait théoriquement générer plus de 20 000 GW d’électricité solaire, de quoi alimenter la planète entière.

Pourtant, malgré cette manne céleste, l’Afrique ne représente aujourd’hui qu’1% de la capacité solaire mondiale installée. Un paradoxe qui est en train de voler en éclats : les importations de panneaux solaires ont bondi de 60% sur le continent en 2025, et 25 pays ont franchi la barre symbolique des 100 MW importés, contre seulement 15 l’année précédente. Le décollage tant attendu du solaire africain semble enfin amorcé.

L’Algérie, le réveil du géant du solaire mondial

Si un pays incarne le potentiel inexploité du solaire africain, c’est bien l’Algérie. Avec 170 TWh de potentiel technique et économique par an, le plus élevé de toute la région MENA, le plus grand pays d’Afrique dispose d’atouts uniques : un ensoleillement exceptionnel, d’immenses étendues désertiques et une position géographique stratégique aux portes de l’Europe.

A lire : L’Algérie accélère sa transition énergétique avec l’Europe, premiers résultats pour Taqathy+

L’année 2025 est celle du vrai lancement du solaire pour l’Algérie. Les importations de panneaux solaires ont été multipliées par 33 en douze mois, propulsant le pays au troisième rang des importateurs africains. Cette accélération fulgurante témoigne d’une prise de conscience tardive mais déterminée. Le gouvernement algérien a fixé un objectif ambitieux de 22 GW de capacité renouvelable d’ici 2030, ce qui nécessiterait une augmentation de 2 700% par rapport aux niveaux actuels.

« L’Algérie pourrait devenir le principal fournisseur d’énergie verte de l’Europe », affirment les experts. Le pays mise désormais sur une stratégie double : développer massivement le solaire pour sa consommation domestique tout en positionnant son gaz naturel pour produire de l’hydrogène bleu en attendant la montée en puissance de l’hydrogène vert.

Égypte et Maroc : les pionniers qui montrent la voie

L’Égypte a pris une longueur d’avance avec des réalisations concrètes impressionnantes. Le parc solaire de Benban, avec ses 1 650 MW de capacité, figure parmi les plus grandes installations solaires au monde. Situé dans le désert près d’Assouan, ce complexe produit environ 3,8 TWh par an, de quoi alimenter des centaines de milliers de foyers égyptiens.

Le Sahara oriental égyptien détient même des records mondiaux : certaines zones y enregistrent 4 300 heures d’ensoleillement par an, soit 97% du maximum théorique possible. Fort de ces atouts, l’Égypte ne compte pas s’arrêter là. Le pays ambitionne de devenir le principal fournisseur d’hydrogène vert de l’Europe d’ici 2030, avec un objectif de production de 10 millions de tonnes par an. Trois nouvelles usines de fabrication de panneaux solaires d’une capacité totale de 9 GW sont en cours de construction, positionnant l’Égypte comme futur hub industriel du solaire africain.

Le Maroc, de son côté, fait figure de modèle avec sa stratégie solaire lancée dès 2009. Le complexe Noor d’Ouarzazate, l’une des plus grandes centrales solaires thermodynamiques au monde avec 510 MW, symbolise cette ambition. Bénéficiant de 3 000 à 3 600 heures d’ensoleillement annuel selon les régions, le royaume chérifien a un avantage unique : il est le seul pays africain connecté au réseau électrique européen via l’Espagne.

Cette connexion ouvre des perspectives vertigineuses. Le projet Xlinks, évalué à 22 milliards de dollars, prévoit de construire des fermes solaires et éoliennes géantes dans le désert marocain pour alimenter directement le Royaume-Uni via le plus long câble sous-marin haute tension au monde (3 700 km). À terme, cette installation pourrait fournir 8% de l’électricité britannique.

Namibie-Botswana : le duo qui voit grand

Un partenariat stratégique est en train d’émerger dans le sud du continent. La Namibie et le Botswana, forts de conditions d’ensoleillement exceptionnelles avec 10 heures de soleil intense par jour pendant 300 jours par an, développent ensemble un méga-projet solaire de 5 GW sur 20 ans.

Ces deux pays cumulent les avantages : le meilleur potentiel d’irradiation solaire d’Afrique, d’immenses étendues de terres plates inhabitées (13% du territoire namibien est propice au solaire), un environnement politique stable et des cadres réglementaires attractifs. Le Botswana possède même la meilleure notation de crédit d’Afrique, un atout crucial pour attirer les investissements.

« Nous allons passer du statut d’importateur d’énergie à celui d’exportateur d’électricité propre pour toute la région« , s’enthousiasme Lefoko Moagi, ministre botswanais de l’Énergie. Le projet prévoit trois phases : d’abord 300-500 MW pour la consommation domestique, puis 1 GW pour l’export régional, et enfin jusqu’à 3 GW pour alimenter les 12 pays de la communauté de développement d’Afrique australe.

La Namibie va plus loin encore avec ses ambitions dans l’hydrogène vert. Grâce à ses ressources solaires et éoliennes de classe mondiale, le pays vise une production de 1-2 millions de tonnes d’hydrogène vert par an d’ici 2030, puis 5-7 millions de tonnes d’ici 2040. Un pari audacieux pour un pays de seulement 3 millions d’habitants.

Le Sahel, nouvelle frontière du solaire mondial

L’initiative « Desert to Power » lancée par la Banque Africaine de Développement est l’un des projets les plus ambitieux du continent. L’objectif : transformer le Sahel en centrale électrique solaire géante avec 10 GW de capacité installée d’ici 2030, de quoi alimenter 250 millions de personnes dans 11 pays (Burkina Faso, Tchad, Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Soudan).

Le Sahel dispose d’atouts uniques : un ensoleillement parmi les plus intenses au monde, d’immenses espaces disponibles et un besoin crucial d’électrification. Actuellement, plus de la moitié de la population sahélienne n’a pas accès à l’électricité. Le solaire pourrait non seulement résoudre cette crise énergétique mais aussi créer des emplois, réduire la déforestation (en remplaçant le charbon de bois) et stimuler le développement économique.

Le Mali et la Mauritanie ont déjà lancé un projet d’interconnexion électrique de 225 kV associé à des centrales solaires, permettant au Mali d’importer 600 GWh d’électricité renouvelable par an depuis la Mauritanie. Ce type de coopération régionale pourrait servir de modèle pour l’intégration énergétique du continent.

Les défis à surmonter

Malgré ce potentiel extraordinaire, des obstacles importants freinent encore le développement du solaire africain. Le financement reste le défi majeur : l’Agence Internationale de l’Énergie estime que l’Afrique a besoin de 190 milliards de dollars d’investissements par an entre 2026 et 2030 pour atteindre ses objectifs énergétiques et climatiques.

L’instabilité politique dans certaines régions, le manque d’infrastructures de transport d’électricité, la faiblesse des réseaux électriques nationaux et le manque de main-d’œuvre qualifiée constituent autant de freins. Enfin certains pays prometteurs comme le Soudan voient leur potentiel inexploité en raison de conflits internes.

Il existe aussi des « zones d’ombre » sur la carte solaire africaine. Les pays de la zone équatoriale humide – Congo, Gabon, Rwanda, Ouganda, Burundi, Liberia, Sierra Leone – souffrent d’une couverture nuageuse quasi permanente qui limite considérablement leur potentiel solaire. Ces nations devront miser sur d’autres sources d’énergie renouvelable comme l’hydroélectricité.

Le développement du solaire africain ne concerne pas que l’Afrique. L’Europe, en quête d’indépendance énergétique depuis la crise ukrainienne, regarde avec un intérêt croissant vers le sud. Des projets de câbles sous-marins reliant l’Afrique du Nord à l’Europe se multiplient : l’Égypte étudie trois projets de connexion avec la Grèce, la Tunisie prépare une liaison avec l’Italie, et l’Algérie est dans la boucle.

L’hydrogène vert africain pourrait révolutionner l’industrie mondiale. Avec ses coûts de production potentiellement les plus bas au monde grâce à l’abondance solaire, l’Afrique pourrait devenir le « Moyen-Orient de l’hydrogène vert« . Les industries européennes gourmandes en énergie pourraient même se délocaliser en Afrique pour profiter de cette énergie bon marché et décarbonée.

Le solaire, catalyseur du développement africain

Au-delà de la production d’électricité, le solaire pourrait transformer l’économie africaine. Au Nigeria, où les groupes électrogènes diesel représentent 28 GW de capacité (plus que le réseau national), un panneau solaire peut rentabiliser son coût en seulement six mois en remplaçant le diesel importé. Les économies réalisées sur les importations de pétrole – qui représentent 30 à 100 fois la valeur des importations de panneaux solaires – pourraient être réinvesties dans le développement.

L’industrialisation verte est déjà en marche. Le Maroc produit de l’acier vert et se lance dans le traitement des métaux pour batteries de véhicules électriques. L’Égypte développe une industrie de fabrication de panneaux solaires. Ces nouvelles chaînes de valeur créent des emplois qualifiés et réduisent la dépendance aux matières premières brutes.

Dans les zones rurales, le solaire change déjà des vies. Les systèmes solaires domestiques « pay-as-you-go » permettent aux populations les plus pauvres d’accéder à l’électricité sans attendre l’extension hypothétique du réseau national. Au Malawi, ces systèmes électrifient la population plus rapidement que le réseau traditionnel.

Les projections pour les prochaines années sont spectaculaires. L’Afrique devrait dépasser 20 GW de capacité solaire installée dès 2025. D’ici 2030, si les projets annoncés se concrétisent, le continent pourrait atteindre 50 à 70 GW.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News