
Une vive tension règne dans le nord du Cameroun depuis la mort tragique d’une enseignante, tuée par balle le mardi 21 octobre 2025 lors de la dispersion violente d’une manifestation à Garoua. Ce rassemblement dénonçait une fraude électorale présumée à l’issue de la Présidentielle du 12 octobre.
Une manifestation qui vire au drame à Garoua
Mardi après-midi, dans le quartier de Poumpoumré, des centaines de manifestants se sont rassemblés pour contester ce qu’ils qualifient de « vol électoral ». La cible principale de leur colère : les résultats non officiels de la Présidentielle qui placeraient, une nouvelle fois, le Président sortant Paul Biya en tête, avec plus de 50% des suffrages. Les partisans d’Issa Tchiroma Bakary, candidat de l’opposition et ancien ministre, affirment pourtant qu’il est le véritable vainqueur du scrutin.
C’est dans ce contexte tendu que les forces de sécurité sont intervenues pour disperser la foule. Selon plusieurs témoins et médias locaux, des tirs ont été entendus, et une balle a mortellement atteint une enseignante du primaire, qui rentrait de son travail à l’école arabe du quartier. Elle n’aurait pas participé à la manifestation, mais s’est retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment.
Colère dans le fief d’Issa Tchiroma Bakary
Garoua, bastion politique d’Issa Tchiroma, est le théâtre principal de ces manifestations post-électorales. Depuis l’annonce des premiers résultats officieux, les protestations y sont quotidiennes. Les manifestants accusent les autorités électorales d’avoir « truqué les chiffres » et demandent la publication des résultats réels, qu’ils estiment favorables à leur candidat. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des foules portant des pancartes avec des slogans tels que « Non au hold-up électoral » ou « Tchiroma, notre Président élu ».
Plusieurs publications dénoncent également l’usage excessif de la force par la police. Dans un communiqué diffusé mardi soir, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a confirmé l’arrestation de 20 personnes impliquées dans les manifestations. Il a fermement condamné ce qu’il qualifie « d’actes insurrectionnels » et averti que toute tentative de déstabilisation serait réprimée avec la plus grande rigueur.
Le Conseil constitutionnel sous pression
« Aucun désordre ne sera toléré. Le peuple camerounais doit faire confiance à ses institutions », a-t-il déclaré, appelant au calme en attendant la proclamation officielle des résultats. Le ministre n’a toutefois pas mentionné la mort de l’enseignante, ce qui a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux et dans certaines ONG locales qui dénoncent une « banalisation des pertes civiles » dans un contexte de crise politique.
La tension monte également à Yaoundé, où le Conseil constitutionnel est attendu pour annoncer les résultats définitifs ce jeudi. L’institution, déjà critiquée pour son manque d’indépendance, fait face à une pression sans précédent, notamment de la part de l’opposition et de la société civile, qui réclament transparence et impartialité. L’organe électoral national, Elections Cameroon (ELECAM), a de son côté annoncé avoir terminé le dépouillement et transmis les résultats provisoires.
Amnesty International appelle à une enquête indépendante
Mais de nombreux Camerounais remettent en question l’intégrité du processus, citant des irrégularités signalées dans plusieurs régions, y compris dans des zones anglophones. Cette crise électorale survient dans un contexte politique tendu. Le Président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, brigue un énième mandat à 92 ans. Son long règne est de plus en plus contesté, notamment par une jeunesse qui aspire à un changement de gouvernance et une meilleure représentativité.
Les élections précédentes ont souvent été marquées par des accusations de fraudes, mais rarement une contestation a pris une telle ampleur, au point de provoquer des morts et des arrestations en série. La société civile, les organisations de défense des droits de l’homme, ainsi que des observateurs internationaux commencent à s’exprimer sur la situation. Amnesty International a déjà appelé à une enquête indépendante sur les violences de mardi, et à la protection du droit à la manifestation pacifique.