
Le Bénin, longtemps présenté comme l’un des modèles démocratiques de l’Afrique de l’Ouest, se retrouve à nouveau à la croisée des chemins. À l’approche de la prochaine élection présidentielle, une ombre plane sur le processus électoral : le principal parti d’opposition ne prendra pas part à la course. Pour un pays qui, depuis la Conférence nationale de 1990, s’enorgueillit d’un pluralisme politique exemplaire, la situation interroge profondément. Comment parler de démocratie lorsque le jeu électoral semble verrouillé au point d’exclure des forces politiques d’envergure ?
Depuis quelques années, la vie politique béninoise connaît une recomposition brutale. Les réformes institutionnelles et électorales, officiellement destinées à « rationaliser » le système partisan, ont en réalité fragilisé la diversité politique. La loi sur la charte des partis et les conditions de parrainage imposées aux candidats ont eu pour effet, volontaire ou non, d’écarter une partie importante de l’opposition du processus électoral. Si la consolidation des partis politiques est un objectif légitime, elle ne peut se faire au prix du pluralisme. Or, c’est bien ce pluralisme qui est aujourd’hui menacé.
De l’esprit du jeu démocratique
Les défenseurs du pouvoir en place invoquent souvent l’argument de la légalité : « Les règles sont les mêmes pour tous ». Certes. Mais la démocratie ne se réduit pas à une stricte conformité juridique. Elle repose avant tout sur l’esprit du jeu démocratique, sur la compétition équitable, sur la possibilité pour chaque sensibilité politique de se faire entendre et de se mesurer aux urnes. Quand l’exclusion devient systémique, quand les conditions d’accès à la candidature semblent taillées pour un cercle restreint de partis proches du pouvoir, la légalité devient un paravent derrière lequel se dissimule une dérive autoritaire.
Le Bénin d’aujourd’hui donne le sentiment d’un pluralisme sous tutelle. Les voix dissidentes, souvent muselées, peinent à trouver un espace d’expression libre. Les manifestations sont encadrées, les leaders politiques critiques font face à des poursuites judiciaires, et les médias indépendants doivent composer avec un environnement de plus en plus hostile. Tout cela contribue à instaurer un climat de peur et de résignation, incompatible avec la vitalité démocratique qui avait jadis fait la fierté du pays.
Une opposition qui peine à proposer une alternative claire
Mais il serait trop simple de ne voir dans cette situation que la responsabilité du pouvoir. L’opposition béninoise, fragmentée, parfois prisonnière de ses querelles internes, n’a pas toujours su se réinventer face aux nouvelles règles du jeu. Elle a souvent réagi plus qu’elle n’a anticipé. Dans un contexte où la légitimité populaire se conquiert autant dans la rue que dans les urnes, elle peine à proposer une alternative claire, un projet rassembleur capable de mobiliser au-delà des clivages partisans.
Reste que la responsabilité première incombe à ceux qui détiennent le pouvoir d’État. Gouverner démocratiquement, ce n’est pas simplement organiser des élections : c’est garantir que ces élections soient ouvertes, inclusives et compétitives. C’est veiller à ce que le citoyen ait réellement le choix. Sans opposition crédible, l’élection se vide de son sens et devient un simple rituel de légitimation. Une Présidentielle sans véritable confrontation d’idées, sans alternative politique sérieuse, n’est rien d’autre qu’un plébiscite.
Dérives sous couvert de légalité et de stabilité
La communauté internationale, autrefois prompte à célébrer le « miracle béninois », observe désormais le pays avec une inquiétude mêlée de silence. Ce silence est d’autant plus assourdissant qu’il trahit une forme de résignation : l’Afrique de l’Ouest, en proie aux coups d’État militaires et aux transitions incertaines, semble s’habituer à l’idée que la démocratie puisse reculer même là où elle paraissait solide. Pourtant, c’est précisément dans les démocraties « modèles » que les dérives sont les plus pernicieuses, car elles s’installent sous couvert de légalité et de stabilité.
Le Bénin n’est pas encore perdu pour la démocratie. La société civile reste vigilante, les intellectuels continuent d’alerter, et de nombreux citoyens refusent de se taire. Mais le risque est réel : à force de verrouiller l’espace politique, le pouvoir pourrait étouffer les voix contradictoires et, ce faisant, nourrir un ressentiment dangereux. L’histoire récente du continent montre que les régimes qui ferment la porte à l’opposition finissent souvent par ouvrir la voie à l’instabilité.
Que vaut une démocratie sans opposition ?
Il est encore temps d’éviter ce scénario. Le gouvernement béninois doit comprendre que la force d’un régime ne se mesure pas à sa capacité à neutraliser ses adversaires, mais à sa faculté à accepter la compétition et à s’y soumettre loyalement. Réhabiliter le jeu démocratique, rouvrir les espaces de dialogue, permettre à tous les partis de participer pleinement aux élections, voilà le seul chemin viable pour préserver ce qui reste de l’esprit de 1990.
Car au fond, la vraie question demeure : que vaut une élection sans choix réel ? Et que vaut une démocratie sans opposition ? Le Bénin, autrefois pionnier, ne peut se résoudre à devenir un simple exemple de plus d’une démocratie confisquée. L’heure n’est plus aux discours, mais à un sursaut démocratique, avant qu’il ne soit trop tard.





