
Au moment où la Commission électorale nationale autonome (CENA) a publié la liste provisoire des candidatures à la Présidentielle de 2026, une crise interne secoue le principal parti d’opposition, Les Démocrates. Entre accusations de dérive autoritaire, fiche de parrainage contestée et correspondances des députés Michel Sodjinou et Éric Houndété, le climat politique béninois entre dans une phase de fortes turbulences.
À six mois de la Présidentielle 2026, une tornade s’abat sur le principal parti d’opposition, Les Démocrates, plus que jamais menacé d’exclusion du processus électoral en raison d’une crise interne dont les conséquences risquent de marquer de façon indélébile la formation politique qui rêvait d’être à la base d’une alternance au sommet de l’État en 2026.
Cinq duos candidats ont déposé leur dossier
La course à la succession de Patrice Talon est officiellement lancée. Ce mercredi 15 octobre 2025, la Commission électorale nationale autonome (CENA), présidée par l’ancien ministre Sacca Lafia, a publié la liste des cinq duos de candidats ayant enregistré leur dossier pour la Présidentielle prévue en avril 2026. Parmi eux, figurent des visages bien connus du paysage politique béninois, mais aussi de nouveaux venus.
Le ministre des Finances, Romuald Wadagni, et la Vice-présidente sortante, Mariam Chabi Talata, forment le duo du camp au pouvoir.
Face à eux, plusieurs figures issues de l’opposition ou de la société civile se positionnent :
Paul Hounkpè, ancien ministre et chef du parti Force cauris pour un Bénin émergent (FCBE), associé au journaliste Rock Hounwanou ; Renaud Agbodjo, avocat, et Jude Lodjou, ancien député et juriste, représentants désignés du parti Les Démocrates ; et enfin Anatole Prince Ouinsavi et Elisabeth Agbossaga, candidats indépendants.
Si les dossiers ont été bien déposés et reçus, il est clair que le climat politique s’est brusquement tendu, notamment au sein du principal parti d’opposition, Les Démocrates.
Les Démocrates à la croisée des chemins
Le parti présidé par l’ancien Président Boni Yayi traverse une crise de gouvernance interne d’une rare intensité. En cause : le processus de désignation du duo présidentiel Renaud Agbodjo – Jude Lodjou, jugé opaque et imposé par une direction accusée d’autoritarisme.
Cette tension a explosé au grand jour avec la déclaration incendiaire du député Michel Sodjinou, coordonnateur de la 19ᵉ circonscription électorale, publiée le 16 octobre dans le quotidien local Bénin Intelligent. Dans un texte fleuve, le parlementaire dénonce « la dérive d’un leadership sans partage » et fustige une « centralisation excessive du pouvoir » au sein du parti, dominé selon lui par « un cercle restreint » fidèle à Boni Yayi.
Michel Sodjinou s’en prend frontalement aux méthodes ayant conduit à la désignation du duo Agbodjo-Lodjou : absence de concertation, instrumentalisation du débat régional, signatures forcées des fiches de parrainage… Le député accuse la direction du parti d’avoir reproduit les erreurs du passé, évoquant même les « moments sombres des FCBE » lorsque Lionel Zinsou fut imposé en 2016 comme candidat de l’ancien régime.
Deux lettres, deux tons : Sodjinou s’enferme, Houndété supplie
La lettre de Michel Sodjinou, au ton à la fois lucide et désabusé, est un véritable pavé jeté dans la mare du parti de Boni Yayi. « Je ne reconnais pas le processus actuel de désignation du duo présidentiel », écrit-il, tout en assurant ne pas vouloir rompre avec son camp. Il appelle à une refondation de la démocratie interne et à la fin des « manipulations qui déshonorent [leur] combat ».
Cette sortie, rarissime dans un contexte d’hyper-discipline partisane, a fait l’effet d’une bombe politique. Car elle révèle les fractures profondes entre la base militante et le sommet du parti. Derrière le vernis de l’unité, Les Démocrates semblent minés par des clivages régionaux, des luttes d’influence et une crise de confiance envers leur propre appareil dirigeant.
Face à Michel Sodjinou, son frère et ami de vieille date, Éric Houndété, ancien président du parti et figure emblématique de l’opposition. Celui pour qui Michel Sodjinou est entré en rébellion. Dans une lettre personnelle, rendue publique, il tente une médiation fraternelle : « Mon frère Michel, je viens très humblement me mettre à tes genoux pour te supplier de remettre le parrainage au parti… »
La lettre d’Éric Houndété trahit tout de même la profondeur du malaise. Le premier vice-président de la formation politique reconnaît les frustrations de son collègue, admet des dysfonctionnements internes, mais plaide pour « l’intérêt supérieur de la Nation » et la survie du parti. « Je sais quelles ont été tes frustrations pour toutes les contrariétés voire les humiliations inutiles nourries et entretenues par certains de nos camarades du parti à mon endroit. Je sais qu’à titre personnel, tu as souffert également des agissements de certains camarades de ta circonscription électorale et de la coordination nationale pour notre proximité », a-t-il écrit.
Avant d’ajouter : « Je voudrais simplement te rappeler que ce qui nous a unis au sein du parti Les Démocrates est au-delà de notre fraternité et de notre amitié. Il s’agit du destin de tout un peuple, car notre parti, que nous avons créé ensemble, s’est engagé à faire renaître notre démocratie, à reconquérir nos droits et nos libertés et à réconcilier le peuple béninois.
Sa lettre, plus apaisée mais non moins alarmiste, révèle un homme conscient que l’unité de Les Démocrates est en péril et que le blocage autour de la seule fiche de parrainage pourrait compromettre la participation effective du parti à la Présidentielle. Les observateurs s’interrogent désormais : Les Démocrates sauront-ils dépasser leurs fractures pour maintenir une offre politique crédible face au camp Talon ? Ou bien le scrutin de 2026 consacrera-t-il la marginalisation durable de l’opposition béninoise ?
Face à un pouvoir méthodique, discipliné et bénéficiant d’un appareil institutionnel solide, l’opposition béninoise semble prisonnière de ses divisions et de ses nostalgies.