Afrique-Chine : les 5 champions d’un commerce à 300 Milliards de dollars


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Chine-Afrique
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Avec 295,6 milliards de dollars d’échanges en 2024, le commerce sino-africain bat tous les records. Mais derrière cette success story se cache une réalité plus nuancée : cinq pays africains dominent ce partenariat, incarnant à la fois ses promesses et ses paradoxes. De l’Afrique du Sud à l’Égypte, en passant par la RDC en pleine ascension, plongée dans les dynamiques complexes qui redessinent l’avenir économique du continent.

L’année 2024 marque un nouveau chapitre dans l’histoire des relations commerciales entre la Chine et l’Afrique. Avec un volume d’échanges atteignant le montant record de 295,6 milliards de dollars américains, la Chine confirme pour la seizième année consécutive sa position de premier partenaire commercial du continent africain. Cette progression de 4,8% par rapport à 2023 témoigne de la vitalité d’une relation économique qui ne cesse de se renforcer malgré les turbulences de l’économie mondiale.

Pourtant, derrière ces chiffres impressionnants se dessinent des dynamiques complexes. Le commerce sino-africain révèle une géographie économique hautement concentrée, où cinq nations africaines dominent les échanges et incarnent à elles seules les défis et opportunités de cette relation asymétrique.

1. L’Afrique du Sud : Le partenaire historique et diversifié (52,4 milliards de dollars)

L’Afrique du Sud maintient sa position de leader incontesté des échanges commerciaux avec la Chine, totalisant 52,4 milliards de dollars en 2024. Cette prééminence s’explique par plusieurs facteurs structurels : une économie relativement diversifiée, des infrastructures portuaires et logistiques développées, et une position géostratégique privilégiée comme porte d’entrée vers l’Afrique australe.

La nation arc-en-ciel exporte principalement vers la Chine du minerai de fer, des métaux précieux et des produits miniers transformés. Cette relation commerciale s’étend bien au-delà des matières premières, englobant également les services financiers et les technologies. Cependant, l’Afrique du Sud a enregistré une baisse de 5,6% de son volume commercial avec la Chine en 2024, signe d’une relation en phase de maturation qui cherche de nouveaux équilibres.

2. La République Démocratique du Congo : L’étoile montante des minerais stratégiques (25,9 milliards de dollars)

La RDC connaît une ascension spectaculaire dans le classement des partenaires commerciaux de la Chine, avec une croissance remarquable de 37,8% en 2024. Cette progression fulgurante s’explique principalement par l’appétit chinois pour les minerais stratégiques congolais, notamment le cuivre et le cobalt, essentiels à la transition énergétique mondiale et à la production de batteries pour véhicules électriques.

Le pays est devenu le principal fournisseur africain de la Chine en 2024, avec des importations chinoises dépassant les 21,9 milliards de dollars, une augmentation de 51% par rapport à l’année précédente. Cette dynamique illustre parfaitement la nouvelle géopolitique des ressources, où les minerais critiques redéfinissent les rapports de force économiques mondiaux.

3. Le Nigeria : Le géant démographique aux performances contrastées (21,8 milliards de dollars)

Première économie d’Afrique de l’Ouest et pays le plus peuplé du continent, le Nigeria occupe la troisième position avec 21,8 milliards de dollars d’échanges. Paradoxalement, ce géant démographique a vu son commerce avec la Chine reculer de 3,1% en 2024, reflétant les défis structurels de son économie encore largement dépendante des exportations pétrolières.

La relation commerciale sino-nigériane illustre les limites du modèle traditionnel d’échange « pétrole contre produits manufacturés« . Le Nigeria cherche désormais à diversifier ses exportations et à attirer des investissements chinois dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée, notamment l’agriculture et les industries de transformation.

4. L’Angola : Le partenaire pétrolier historique en transition (20,8 milliards de dollars)

L’Angola, longtemps champion des exportations africaines vers la Chine grâce à son pétrole brut, occupe désormais la quatrième position avec 20,8 milliards de dollars d’échanges. Le pays a connu une baisse significative de 9,1% de son commerce avec la Chine en 2024, symptôme d’une relation en pleine redéfinition.

Cette évolution s’explique par plusieurs facteurs : la volatilité des prix du pétrole, la diversification progressive de l’économie angolaise, et la recherche par la Chine de nouvelles sources d’approvisionnement énergétique. L’Angola reste néanmoins un partenaire stratégique, notamment en raison de son endettement important envers la Chine (près de 21 milliards de dollars), qui structure profondément leurs relations économiques bilatérales.

5. L’Égypte : La porte d’entrée vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (17,4 milliards de dollars)

L’Égypte complète ce quintette avec 17,4 milliards de dollars d’échanges commerciaux. Sa position géostratégique unique, à la croisée de l’Afrique, du Moyen-Orient et de la Méditerranée, en fait un partenaire privilégié pour la Chine dans le cadre de l’Initiative Belt and Road.

La Zone de coopération économique et commerciale de Suez, développée avec des investissements chinois, est devenue un modèle d’industrialisation en Afrique, abritant des clusters dans les secteurs du textile, du verre, des matériaux de construction et de l’électroménager. L’Égypte a également innové en émettant avec succès des « obligations panda » libellées en yuan sur le marché chinois en 2023 et 2025, témoignant de l’approfondissement de l’intégration financière sino-africaine.

Au-delà des chiffres : Anatomie d’une relation déséquilibrée

Malgré les discours sur le partenariat gagnant-gagnant, la structure des échanges sino-africains reproduit largement les schémas historiques de dépendance économique. Les données révèlent une réalité frappante : 89% des exportations africaines vers la Chine consistent en matières premières extractives, principalement du pétrole, du cuivre, du minerai de fer et de l’alumine. À l’inverse, 94% des importations africaines en provenance de Chine sont des produits manufacturés.

Ce déséquilibre structurel perpétue la position de l’Afrique comme fournisseur de matières premières et consommateur de produits finis, limitant le développement de ses capacités industrielles propres et sa montée en gamme dans les chaînes de valeur mondiales.

L’Afrique maintient un déficit commercial persistant avec la Chine, qui s’élevait à 62 milliards de dollars en 2024. Les importations africaines depuis la Chine (178,8 milliards de dollars) dépassent largement les exportations vers l’Empire du Milieu (116,8 milliards de dollars). Ce déséquilibre représente environ 2,6% du PIB africain, une ponction significative sur les ressources du continent.

L’endettement : l’autre face de la médaille

La question de la dette constitue un aspect crucial mais souvent occulté de la relation sino-africaine. Les cinq principaux partenaires commerciaux de la Chine figurent également parmi ses plus importants débiteurs sur le continent. L’Angola arrive en tête avec une dette de près de 21 milliards de dollars, suivie par l’Égypte (5,21 milliards), le Nigeria (4,29 milliards) et l’Afrique du Sud (3,43 milliards).

Cette imbrication entre commerce et endettement crée des dynamiques de dépendance complexes, où les remboursements de dette sont souvent garantis par des exportations de matières premières, perpétuant ainsi le cycle de l’extraction.

Face aux critiques sur le caractère asymétrique de leurs échanges, la Chine et ses partenaires africains explorent de nouveaux domaines de coopération. Les entreprises chinoises ont construit d’importants centres de données en Afrique et déploient la technologie 5G dans les secteurs miniers et la gestion urbaine. Cette coopération technologique offre des opportunités de modernisation rapide mais soulève également des questions sur la souveraineté numérique et la dépendance technologique.

La transition énergétique comme catalyseur

Le développement des énergies renouvelables émerge comme un nouveau pilier de la coopération. Les centrales solaires construites conjointement dépassent désormais 1,5 gigawatt de capacité, suffisant pour alimenter plus d’un million de foyers africains. Cette orientation vers le vert pourrait transformer la nature de la relation, passant d’un modèle extractif à une coopération plus durable et mutuellement bénéfique.

L’intégration régionale et la Zone de libre-échange continentale africaine

L’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) représente une opportunité historique de rééquilibrer les relations commerciales. En créant un marché unifié de 1,7 milliard de personnes d’ici 2030, la ZLECAf pourrait renforcer le pouvoir de négociation collectif de l’Afrique face à la Chine et favoriser le développement de chaînes de valeur régionales.

Consciente des critiques et soucieuse de préserver ses intérêts à long terme, la Chine a annoncé plusieurs mesures significatives. L’abolition des droits de douane pour 33 pays africains les moins avancés depuis décembre 2024 représente un geste important, surtout en parralèle des récentes décisions américaines. même si son impact réel reste à évaluer. Le paquet de financement de plus de 50 milliards de dollars sur trois ans annoncé lors du Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) de 2024 témoigne également de la volonté chinoise de maintenir son engagement.

Les défis structurels persistants

Malgré ces initiatives, plusieurs défis structurels demeurent. La concentration géographique des échanges – les cinq premiers partenaires représentent près de 69% du commerce total – limite les bénéfices de la relation sino-africaine à une poignée de pays. La volatilité des prix des matières premières continue de fragiliser les économies africaines dépendantes des exportations de ressources naturelles.

Pour que le partenariat sino-africain réalise son potentiel transformateur, l’Afrique doit impérativement développer ses capacités de transformation locale des matières premières. Les exemples de la Zone économique de Suez en Égypte ou de la zone de coopération Chine-Zambie, qui construit une chaîne complète de l’industrie du cuivre, montrent la voie vers une industrialisation créatrice de valeur ajoutée et d’emplois.

L’avenir de cette relation dépendra de la capacité des deux parties à transcender le modèle traditionnel d’échange « matières premières contre produits manufacturés« . Les pays africains doivent utiliser stratégiquement leurs ressources naturelles comme levier pour négocier des transferts de technologie, développer leurs industries locales et monter en gamme dans les chaînes de valeur mondiales.

Dans ce contexte en mutation, les cinq géants du commerce sino-africain ont l’opportunité historique de redéfinir les termes de l’engagement et de tracer la voie vers un partenariat plus équilibré et mutuellement bénéfique.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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