
Dans l’immensité du Sahara algérien, un chantier titanesque prend forme. Le 5 juillet 2025, l’Algérie a achevé le tronçon Tindouf-Gara Djebilet, long de 135 kilomètres. Cette section fait partie d’un chantier de 950 kilomètres qui reliera le gisement de fer de Gara Djebilet à la zone industrielle de Béchar. Ce projet à plusieurs milliards de dollars va permettre à l’Algérie de rivaliser avec les géants miniers africains, avec une production annuelle visée de 50 millions de tonnes et la création de dizaines de milliers d’emplois.
L’achèvement du tronçon Tindouf-Gara Djebilet marque une nouvelle avancée dans ce projet lancé en novembre 2023 par le président Abdelmadjid Tebboune. Selon l’Agence nationale d’études et de suivi de la réalisation des investissements ferroviaires (ANESRIF), les travaux de ce segment de 135 kilomètres ont été finalisés, permettant désormais de relier directement la mine au réseau ferroviaire en construction.
Le tracé global, divisé en trois tronçons principaux, va dessiner une nouvelle géographie économique du sud-ouest algérien. Le premier tronçon déjà terminé s’étend sur 200 kilomètres de Béchar jusqu’aux limites de la wilaya avec Béni Abbès, dont 98 kilomètres entre Béchar et Abadla ont déjà été inaugurés en avril dernier. Le deuxième relie Tindouf à Oum El Assel sur 175 kilomètres. Le troisième et plus imposant couvre 575 kilomètres, divisé en deux sections : 440 kilomètres entre Hammaguir et Oum El Assel, et les 135 kilomètres désormais achevés entre Tindouf et Gara Djebilet.
Les défis techniques demeurent considérables. « Comme c’est une région saharienne, parfois le chantier s’arrête complètement à cause des tempêtes de sable. Mais il reprend directement dès qu’il y a une accalmie », explique Abdelkader Mazar, directeur de la communication à l’ANESRIF. Pour transporter le minerai, l’Algérie mise sur une technologie inédite dans le pays : des traverses en béton monoblocs supportant jusqu’à 32,5 tonnes, permettant le passage de convois de 2135 mètres de long avec 170 wagons transportant chacun 22 100 tonnes de minerai
Gara Djebilet entre en scène
La société chinoise CRCC, partenaire principal avec le groupe algérien COSIDER, mobilise des moyens considérables. « La société travaille sur plusieurs fronts simultanément pour respecter les délais contractuels, car cette ligne est stratégique pour l’Algérie », affirme Ana Chen, directrice générale adjointe au développement des projets régionaux pour l’Afrique du Nord de CRCC. Plus de 3500 employés algériens et 1600 engins lourds sont déployés sur le chantier.
À plus de 1000 kilomètres au sud d’Alger, le gisement de Gara Djebilet, découvert en 1952, commence à révéler son potentiel. Ses réserves de 3,5 milliards de tonnes, dont 1,7 milliard exploitables, le placent au deuxième rang mondial. Avec 58,67% de teneur en fer, le minerai rivalise avec les meilleurs gisements mondiaux, malgré un taux de phosphore de 0,8% nécessitant des traitements spécifiques.
L’exploitation, démarrée en juillet 2022, monte progressivement en cadence. « Près de 250 000 tonnes de minerai de fer avaient été extraites de la mine de Gara Djebilet depuis son entrée en exploitation », indique Reda Belhadj, directeur général adjoint de FERAAL. Le plan de développement prévoit 2 à 3 millions de tonnes annuelles jusqu’en 2025, puis 40 à 50 millions de tonnes à partir de 2026.
Ces volumes propulseront l’Algérie dans le top 3 de la production minière africaine. La Mauritanie voisine, deuxième producteur continental, a produit 14,3 millions de tonnes en 2024 et vise 45 millions de tonnes d’ici 2030. L’Afrique du Sud maintient sa position de leader. Avec ses objectifs ambitieux, l’Algérie entend redistribuer les cartes du secteur minier africain.
Une transformation économique en marche
« L’avenir de l’Algérie est intimement lié à la mine de Gara Djebilet, laquelle permettra d’économiser trois milliards USD de la facture d’importation du fer », a déclaré le président Tebboune lors du lancement du projet. Cette économie s’accompagne d’investissements massifs dans la transformation locale.
Le consortium chinois CMH, associé à FERAAL, investit un milliard de dollars dans un complexe sidérurgique à Béchar. Tosyali-Feraal ajoute 150 millions de dollars pour une unité de traitement du minerai. Au total, le projet devrait générer 25 000 emplois directs et 125 000 indirects selon les estimations officielles.
La présence chinoise sur ce projet n’est pas anodine. Premier producteur mondial d’acier avec 819 millions de tonnes en 2024, la Chine cherche à diversifier ses approvisionnements, aujourd’hui dépendants à 70% de l’Australie. Pour l’Algérie, ce partenariat apporte technologies et capitaux nécessaires à la construction d’une industrie sidérurgique moderne.
Une ligne qui sera livrée en avance
La ligne transformera aussi le quotidien régional. « Le plan d’exploitation quotidienne de la ligne ferroviaire ouest prévoit en moyenne 8 trains consacrés au fret des produits miniers, un train pour le transport des voyageurs et un autre réservé aux marchandises », détaille M. Mazar de l’ANESRIF. Six stations principales jalonneront le parcours : Abadla, Hammaguir, Hassi Khebi, Oum El Assel, Tindouf et Gara Djebilet.
Cette dynamique s’inscrit dans une vision nationale ambitieuse. L’Algérie prévoit d’étendre son réseau ferroviaire de 4 787 kilomètres actuellement à 15 000 kilomètres d’ici 2030. En 2024, le pays a lancé la construction de 2 773 kilomètres supplémentaires.
« Il était prévu que le projet de cette ligne ferroviaire Béchar-Tindouf-Gara Djebilet soit livré selon les délais, aux mois de mars et juin 2026, mais nous nous sommes engagés à le finaliser à la fin 2025 », a récemment annoncé le ministre des Travaux publics. Une volonté d’accélérer la mise en œuvre qui en dit long sur l’importance du chantier en Algérie.
D’ici fin 2025, quand l’ensemble de la ligne sera opérationnel, ce seront 950 kilomètres de rails qui relieront le cœur du Sahara aux centres industriels du nord. Un projet qui raconte l’ambition d’un pays déterminé à écrire une nouvelle page de son histoire économique.