
Face aux tensions commerciales avec Bruxelles et aux nouvelles politiques douanières algériennes, l’Europe perd du terrain pendant que les investisseurs asiatiques misent massivement sur le potentiel économique du pays. Un basculement géoéconomique majeur est en cours.
Les relations commerciales entre l’Algérie et l’Europe traversent une zone de turbulences sans précédent. Après des années de partenariat privilégié, Bruxelles a lancé en juillet 2025 une procédure d’arbitrage contre Alger, accusant le pays maghrébin de violer l’accord d’association euro-algérien signé en 2002. Au cœur du contentieux : les mesures protectionnistes adoptées par l’Algérie depuis 2021, notamment le système de licences d’importation restrictif et les droits additionnels provisoires de sauvegarde (DAPS) pouvant atteindre jusqu’à 200% sur certains produits.
Cette escalade juridique, poussée par la France sur fond de conflit politique avec Alger, s’inscrit dans un contexte de déclin marqué des échanges commerciaux. Les exportations européennes vers l’Algérie ont chuté de 22,3 milliards d’euros en 2015 à seulement 14,9 milliards en 2023, une baisse de 33% qui témoigne de l’érosion progressive de l’influence économique européenne dans le pays.
Un protectionnisme calculé qui pourrait faire école au Maghreb
L’approche souverainiste de l’Algérie contraste fortement avec la situation de ses voisins maghrébins. Alors que le Maroc affiche un déficit commercial qui approche 19,8% du PIB en 2025 (contre 19,1% en 2024 !) et que la Tunisie lutte avec un déficit ayant bondi de 10,8% en 2024 pour atteindre 18,9 milliards de dinars, l’Algérie maintient un excédent commercial grâce à ses exportations d’hydrocarbures et à ses mesures protectionnistes.

Cette stratégie s’inscrit dans la vision du président Abdelmadjid Tebboune, qui dans sa dernière communication périodique du 18 juillet 2025, a réaffirmé sa volonté de réduire la dépendance aux hydrocarbures : « Nous allons vers une économie moins dépendante des hydrocarbures, d’autant que notre production de pétrole est faible« . Le chef de l’État algérien a d’ailleurs assuré que « tous les voyants sont au vert » pour l’économie nationale, avec une croissance soutenue et des réserves de change solides de 70 milliards de dollars.
L’Asie prend le relais avec pragmatisme
Pendant que l’Europe s’enlise dans des procédures juridiques et politique, à l’exception notable de l’Italie, les puissances asiatiques ont saisi l’opportunité de renforcer leur présence en Algérie. La Chine, en particulier, s’impose comme le nouveau partenaire privilégié d’Alger. Avec 1 311 entreprises chinoises opérant dans le pays et un volume d’échanges commerciaux atteignant 12,5 milliards de dollars en 2024, Pékin a détrôné la France comme premier fournisseur de l’Algérie.
Les investissements chinois explosent littéralement : près de 4,5 milliards de dollars ont été injectés dans 42 projets industriels, selon l’Agence algérienne de promotion de l’investissement (AAPI). En avril 2025, huit nouveaux accords de coopération ont été signés dans des secteurs stratégiques comme l’automobile et l’agriculture. Trois constructeurs automobiles chinois – JAC, Chery et Geely – installent actuellement des usines d’assemblage en Algérie, avec des capacités de production prévues de 100 000 véhicules par an.
Contrairement à l’Europe qui privilégie la confrontation, les investisseurs asiatiques adoptent une approche pragmatique qui respecte les nouvelles règles algériennes. De même, la Turquie, dont les investissements ont surpassé ceux de la Chine dans certains secteurs, a su naviguer dans ce nouvel environnement réglementaire. Les échanges commerciaux turco-algériens ont atteint 2,89 milliards de dollars en 2024, et Ankara ambitionne de tripler ce volume pour atteindre 10 milliards de dollars.
Le Japon manifeste également un intérêt croissant, particulièrement dans les secteurs miniers et des terres rares. L’ambassadeur japonais Kotaro a récemment exprimé l’intérêt des entreprises nippones pour les méga-projets miniers algériens, soulignant « le climat d’investissement favorable » du pays. L’Inde n’est pas en reste, avec des échanges commerciaux en progression constante, tandis que la Corée du Sud a annoncé lors du sommet Corée-Afrique de 2024 un engagement de 14 milliards de dollars en financements à l’export pour les entreprises coréennes en Afrique.
Les réformes Tebboune portent leurs fruits
L’attractivité nouvelle de l’Algérie pour les investisseurs asiatiques s’explique par les réformes économiques ambitieuses engagées depuis 2022. La nouvelle loi sur l’investissement offre des incitations fiscales substantielles, des exemptions de droits de douane et des procédures administratives simplifiées via la plateforme numérique de l’AAPI. L’abolition de la règle 51/49 (sauf pour les secteurs stratégiques) a libéré l’investissement étranger dans de nombreux domaines.
Les résultats sont tangibles : les exportations hors hydrocarbures ont triplé depuis 2017, atteignant 5,1 milliards de dollars en 2023. Le gouvernement s’est fixé l’objectif ambitieux de porter ces exportations à 10 milliards de dollars en 2025, puis à 29 milliards d’ici 2030. Le président Tebboune a même évoqué la possibilité pour l’Algérie de rejoindre le club des pays émergents en 2027 avec un PIB dépassant les 400 milliards de dollars, et de devenir la première économie africaine.
Dans sa communication du 18 juillet, le président Tebboune a également déclaré la guerre à l’économie informelle qui représente environ 30% de la masse monétaire du pays. Cette volonté de formalisation de l’économie, couplée aux recommandations du GAFI (Groupe d’action financière) pour sortir de la « liste grise », renforce la crédibilité du pays auprès des investisseurs internationaux.
Un basculement géopolitique durable
Ce glissement de l’Europe vers l’Asie dans le paysage économique algérien reflète des mutations géopolitiques profondes. L’Algérie, fidèle à son principe de non-alignement comme l’a rappelé Tebboune, entretient désormais « de bonnes relations avec les États-Unis, la Russie et la Chine« . Cette diversification des partenariats économiques s’accompagne d’une volonté de renégocier l’accord d’association avec l’UE, jugé inadapté à la nouvelle réalité économique du pays.
Pour Bruxelles, l’enjeu est considérable : l’Algérie reste le troisième fournisseur de gaz naturel de l’UE. Dans un contexte de tensions énergétiques persistantes et de transition écologique, perdre de l’influence économique en Algérie pourrait avoir des répercussions stratégiques majeures pour Bruxelles.
Les investisseurs asiatiques ont compris que l’Algérie et ses 47 millions d’habitants est ‘est une porte d’entrée vers l’Afrique subsaharienne via le projet de zones de libre-échange avec cinq pays voisins (Mauritanie, Mali, Niger, Libye et Tunisie), un hub énergétique majeur et un pays aux ressources minières encore trop inexploitées. Leur approche collaborative, respectueuse de la souveraineté économique algérienne, semble mieux adaptée aux aspirations de la « nouvelle Algérie » que promeut le président Tebboune.