Les tarifs douaniers de Trump au Maghreb : l’Algérie tranquille, la Tunisie coule, le Maroc paie déjà


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Droits de douane au Maghreb
Droits de douane au Maghreb

Donald Trump a dévoilé sa politique de « tarifs réciproques » imposant des droits de douane différenciés aux pays du Maghreb : 30% pour l’Algérie, 28% pour la Tunisie et 10% pour le Maroc. Mais derrière ces chiffres et différences spectaculaires se cache une réalité plus nuancée : l’Algérie échappe en réalité à l’essentiel de ces taxes grâce à ses exportations pétrolières exemptées, tandis que la Tunisie se retrouve véritablement pénalisée alors que le Maroc reste profondément déficitaire dans sa relation avec les Etas-Unis. 

La nouvelle politique commerciale américaine, baptisée « Liberation Day », révèle des disparités frappantes entre les trois principales économies maghrébines. Le principe de « réciprocité » invoqué par Trump établit que les États-Unis appliquent des tarifs correspondant à la moitié de ceux imposés par chaque pays sur les produits américains, tout en tenant compte des déséquilibres commerciaux.

L’illusion des 30% algériens

L’Algérie semble à première vue la plus lourdement taxée avec ses 30% de droits de douane. Pourtant, cette mesure relève davantage du symbole que de la sanction économique réelle. Sur les 2,5 milliards de dollars d’exportations algériennes vers les États-Unis en 2024, plus de 2 milliards concernent les hydrocarbures – produits explicitement exemptés de ces nouveaux tarifs. Au final, la taxe douanière ne va donc porter que sur 20% des exportations algériennes.

Cette exemption transforme la mesure apparemment punitive en disposition largement cosmétique et favorable à l’Algérie. L’impact sera quasi nul grâce à cette exemption pétrolière. L’Algérie, qui impose pourtant 59% de droits sur les produits américains, s’en tire donc finalement bien mieux que ses voisins. Il faut donc y voir une confirmation de la poursuite du rapprochement initié par Alger avec Washington.

Le Maroc faux gagnant

Le Maroc, appliquant déjà un taux de 10% sur les produits américains et bénéficiant d’un accord de libre-échange, conserve le taux de base, soit 10%. Cette exception marocaine ne relève pas du hasard mais de l’Accord de libre-échange (ALE) de 2006 – le seul signé par les États-Unis avec un pays africain – qui a fait exploser les échanges commerciaux, passant de 1,3 milliard de dollars en 2006 à 7,2 milliards en 2024.

Mais contrairement aux idées reçues, la balance commerciale penche massivement en faveur des États-Unis : 5,3 milliards de dollars d’exportations américaines contre seulement 1,9 milliard d’importations marocaines, soit un excédent de 3,4 milliards pour Washington. Cette asymétrie favorable explique la clémence tarifaire américaine puisqu’au final le Maroc voit s’envoler ses devises vers les USA. Le Royaume Chérifien ne voit donc pas de changement dans sa situation, ni à la hausse ni à la baisse avec ces nouveaux tarifs douniers.

Rabat espère cependant que la hausse des taux qui va toucher certains pays européens, comme l’Espagne, puisse cependant lui être favorable. En particulier concernant le secteur automobile marocain actuellement en difficulté.  Le Maroc pourrait attirer de nouveaux investissements industriels visant des exportations vers les Etats-Unis. C’est en partie ce qui explique les dernières annonces d’investissement de Tesla au Maroc.

La Tunisie autre perdant

Pour la Tunisie, ces nouveaux droits de douane de 28% représentent un coup dur sans échappatoire. Le pays exporte annuellement pour 1,1 milliard de dollars vers les États-Unis, dont près de la moitié provient des huiles végétales, principalement l’huile d’olive. Avec 220 000 tonnes exportées lors de la campagne 2023/2024, ce secteur vital risque de subir des pertes considérables.

L’impact dépasse le cadre économique. Les médias tunisiens ont d’ailleurs vivement critiqué ces mesures « dures« , questionnant le silence du président Kaïs Saïed face à cette situation. Ces tarifs accentuent « le sentiment d’isolement et de vulnérabilité de la Tunisie sur la scène internationale« .

Les relations déjà tendues avec Washington depuis la prise de pouvoir de Saïed en 2021 risquent de se détériorer davantage. Certains observateurs évoquent même des rumeurs selon lesquelles Trump pourrait proposer d’aider à résoudre la dette tunisienne en échange d’une normalisation avec Israël. Une ligne rougea aujourd’hui pour le pouvoir tunisien.

La politique tarifaire de Trump révèle les véritables rapports de force au Maghreb. L’Algérie, malgré des taux apparemment punitifs, s’en sort indemne et se voit même récompensé, signe que sa diplomatie fonctionne. Le Maroc après des décennies d’alliance stratégique avec Washington est dans l’attente de tirer les fruits de sa coopération. La Tunisie, elle, paie le prix fort de son isolement diplomatique et de son protectionnisme commercial.

Zainab Musa
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Zainab Musa est une journaliste collaborant avec afrik.com, spécialisée dans l'actualité politique, économique et sociale du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest. À travers ses enquêtes approfondies et ses analyses percutantes, elle met en lumière des sujets sensibles tels que la corruption, les tensions géopolitiques, les enjeux environnementaux et les défis de la transition énergétique. Ses articles traitent également des évolutions sociétales et culturelles, notamment à travers des reportages sur les figures influentes du Maroc et de l’Algérie. Son approche rigoureuse et son regard critique font d’elle une voix incontournable du journalisme africain francophone.
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