
Un accord tacite semble se dessiner entre Rabat et Madrid, mêlant reconnaissance territoriale et partage des richesses sous-marines. Au cœur de cette négociation discrète : le Sahara occidental d’un côté, les fonds marins canariens de l’autre.
En qualifiant le plan d’autonomie marocain de « base la plus sérieuse, réaliste et crédible », en 2022, Madrid a opéré un virage à 180 degrés qui ne doit rien au hasard. Cette volte-face diplomatique intervient dans un contexte où l’Espagne cherche à sécuriser ses intérêts économiques et énergétiques dans l’Atlantique. Or les eaux entourant les Canaries recèlent des trésors géologiques : terres rares, cobalt, tellure et autres minerais stratégiques indispensables à la transition énergétique européenne. Des ressources que Rabat pourrait être tenté de revendiquer en invoquant la proximité géographique et le plateau continental étendu.
Cette dynamique de coopération pourrait trouver son point d’orgue lors de la Réunion de Haut Niveau (RHN) maroco-espagnole prévue début décembre à Madrid. Ce XIIIe sommet bilatéral, le premier depuis février 2022, réunira les chefs de gouvernement Pedro Sánchez et Aziz Akhannouch, accompagnés de leurs principaux ministres. Une vingtaine d’accords devraient être signés, couvrant des domaines aussi variés que l’énergie, les transports, la formation professionnelle et la gestion des flux migratoires. L’organisation de la Coupe du Monde 2030 réunissant les deux pays, plus le Portugal, sera aussi évoquée.
Les minerais des Canaries, enjeu du XXIe siècle
Les campagnes d’exploration menées ces dernières années au large de l’archipel canarien ont révélé la présence de gisements considérables de minerais polymétalliques. La montagne sous-marine Tropic, située à 500 kilomètres au sud-ouest d’El Hierro, concentrerait à elle seule des réserves de cobalt équivalentes à plusieurs décennies de consommation mondiale. Un trésor que l’Espagne entend bien exploiter sans interférence.
Or, le Maroc a déposé en 2020 deux projets de loi visant à étendre ses eaux territoriales et sa zone économique exclusive. Ces textes, toujours en suspens, incluent potentiellement des zones maritimes proches des Canaries. Un épée de Damoclès que Rabat pourrait agiter pour obtenir des concessions sur d’autres dossiers.
Le Sahara occidental, monnaie d’échange
Pour le royaume chérifien, la reconnaissance internationale de sa souveraineté sur le Sahara occidental demeure la priorité absolue de sa diplomatie. Après les États-Unis en décembre 2020, l’Espagne représentait le domino européen le plus significatif. Madrid n’est pas seulement l’ancienne puissance coloniale du territoire ; c’est aussi un État membre influent de l’Union européenne et un voisin incontournable.
Le soutien espagnol offre au Maroc plusieurs avantages. Il neutralise d’abord l’un des principaux soutiens européens du Front Polisario. Ensuite, il facilite l’acheminement des exportations marocaines vers l’Europe via les ports espagnols. Enfin, il garantit une coopération renforcée en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, autre dossier sensible pour Madrid.
Un équilibre fragile
Cet arrangement non écrit présente toutefois des fragilités. La société civile espagnole reste largement favorable à l’autodétermination sahraouie, et l’opposition politique dénonce régulièrement ce qu’elle perçoit comme une capitulation face à Rabat. Les Canariens eux-mêmes observent avec méfiance tout rapprochement susceptible de remettre en cause leurs droits maritimes.
Côté marocain, certaines voix nationalistes estiment que le royaume ne devrait pas renoncer à ses prétentions maritimes légitimes sans contreparties plus substantielles. D’autant que la reconnaissance espagnole du plan d’autonomie n’équivaut pas à une reconnaissance de souveraineté pleine et entière.
Vers une formalisation de l’accord ?
Si les grandes lignes de ce compromis semblent tracées, sa formalisation juridique reste incertaine. Un accord explicite liant reconnaissance du Sahara et abandon des prétentions maritimes serait politiquement explosif des deux côtés du détroit. Les diplomaties marocaine et espagnole privilégient donc une approche progressive, faite de gestes réciproques et d’ententes tacites.
L’exploitation effective des minerais canariens, prévue à l’horizon 2030, constituera le véritable test de cet arrangement. Si le Maroc s’abstient de toute revendication et facilite même l’acheminement de ces ressources vers ses ports atlantiques, l’hypothèse d’un deal global se confirmera. Dans le cas contraire, les tensions maritimes pourraient ressurgir et fragiliser l’ensemble de l’édifice diplomatique patiemment construit.
Entre pragmatisme économique et principes juridiques internationaux, Rabat et Madrid tentent de définir un modus vivendi acceptable pour les deux parties. Mais sans tenir compte de la volonté des territoires concernés…



