
À travers les souvenirs révélés par Juan Carlos I dans son nouvel ouvrage, se dessine un portrait inédit d’Hassan II, figure centrale mais souvent méconnue de la diplomatie maroco-espagnole. L’ancien souverain espagnol y dévoile les ressorts d’une relation singulière, façonnée par la confiance et un dialogue constant entre les deux monarchies. Ces révélations offrent un éclairage rare sur les mécanismes discrets qui ont permis d’amortir les tensions et de consolider, au fil des décennies, une entente durable entre Rabat et Madrid.
Relation humaine construite dans la confiance et la franchise
Dans un nouvel ouvrage mémoriel qui fait déjà grand bruit, l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos I revient longuement sur la figure d’Hassan II, un souverain qu’il décrit comme un partenaire essentiel, mais surtout comme un ami dont la clairvoyance a façonné plusieurs décennies de relations maroco-espagnoles. Publiées sous le titre « Réconciliation », ces mémoires offrent une plongée rare dans les coulisses diplomatiques entre Rabat et Madrid, à travers le regard privilégié de l’un des témoins les mieux placés.
Pour Juan Carlos I, l’histoire commune entre les deux monarchies ne se résume pas aux protocoles officiels, mais à une relation humaine construite dans la confiance et la franchise. Dès les premières pages, l’ancien monarque confie que sa rencontre avec Hassan II en 1975, au moment où le Maroc réintégrait le Sahara, a marqué le début d’un dialogue unique. Selon lui, c’est cette proximité personnelle, nourrie loin des caméras, qui a permis de résoudre des crises parfois explosives. « Nos échanges directs ont souvent évité l’escalade », écrit-il, reconnaissant qu’Hassan II savait préserver l’équilibre même lorsque les tensions administratives s’accumulaient.
Vision stratégique d’Hassan II
L’un des chapitres les plus marquants du livre porte sur la question de Sebta et Melilla, sensible depuis des décennies dans la relation bilatérale. Juan Carlos I y rapporte une attitude d’Hassan II qualifiée de pragmatique, presque philosophique. Le souverain marocain, conscient de la complexité historique de ces enclaves, lui aurait confié qu’aucune solution durable ne pouvait naître dans la précipitation. Pour Hassan II, ce dossier appartenait au long terme, à une temporalité dépassant les règnes individuels. « La prochaine génération devra résoudre cette question », aurait-il affirmé, une phrase que l’ancien roi espagnol n’a jamais oubliée tant elle résumait, selon lui, la vision stratégique du monarque marocain.
L’ouvrage apporte également un éclairage précieux sur la manière dont les deux dirigeants ont géré les crises naissantes. À une époque où les relations bilatérales pouvaient s’envenimer rapidement, les deux souverains avaient établi un canal direct, presque amical, pour déminer les tensions. Juan Carlos I raconte ces conversations téléphoniques improvisées, parfois tardives, où il cherchait un avis, un éclairage ou simplement un moyen d’apaiser une situation délicate. Ce lien personnel, répète-t-il, était un rempart contre les incompréhensions et un moteur de stabilité dans la région.
L’intelligence, la culture et l’humour subtil d’Hassan II
Le livre revient aussi sur un moment fondateur : la première visite officielle de Juan Carlos I au Maroc en 1979. Une visite symbolique, encore marquée par les traces récentes de la Marche verte, mais qui a permis d’ancrer définitivement la confiance entre les deux familles royales. Juan Carlos I confie avoir été impressionné par l’intelligence, la culture et l’humour subtil d’Hassan II, avec lequel il échangeait naturellement en français. Loin des cérémonies rigides, cette rencontre aurait posé les bases d’une coopération renforcée dans des domaines stratégiques comme la sécurité, le commerce ou la gestion des frontières.
La dernière rencontre entre les deux hommes occupe un passage particulièrement émouvant. En juillet 1999, alors qu’Hassan II lutte contre la maladie, Juan Carlos I se rend à Rabat pour célébrer ses 70 ans. Le roi espagnol raconte un homme affaibli mais serein, entouré des siens. Deux semaines plus tard, il apprend son décès. « J’ai perdu un ami », écrit-il avec sobriété, une phrase qui résume l’essence même de ces mémoires : l’histoire d’une alliance autant politique qu’humaine.





