Maghreb : Maroc et Algérie face à la crise européenne de l’automobile


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Usine automobile
Usine automobile

Alors que l’industrie automobile européenne s’enfonce dans une crise historique avec 88 000 suppressions d’emplois en 2024, le Maroc, devenu premier producteur africain, découvre le revers de sa stratégie tout-export. Avec 90% de sa production destinée à l’Europe et des exportations en chute de 8% début 2025, le royaume chérifien doit repenser son modèle. Pendant ce temps, l’Algérie inaugure ses premières usines avec Fiat, misant sur son marché intérieur de 44 millions d’habitants et sur des exportations en Afrique.

En l’espace de deux décennies, le Maroc s’est imposé comme le champion incontesté de l’industrie automobile africaine. Avec une production dépassant les 700 000 véhicules en 2024 et des exportations frôlant les 93 milliards de dirhams au premier semestre 2024, le royaume chérifien a détrôné l’Afrique du Sud pour devenir le premier producteur automobile du continent. Cette ascension fulgurante, portée par les géants Renault et Stellantis, cache pourtant une vulnérabilité structurelle inquiétante : une dépendance excessive au marché européen en pleine déconfiture.

L’industrie automobile européenne traverse sa pire crise depuis des décennies. Les chiffres donnent le vertige : 88 000 suppressions d’emplois annoncées en 2024, une production en baisse de 2 millions de véhicules par rapport à l’avant-Covid, et des géants comme Volkswagen envisageant la fermeture de 3 usines sur 10 en Allemagne. La transition forcée vers l’électrique, conjuguée à la concurrence chinoise et aux incertitudes économiques, plonge le secteur dans une spirale descendante.

Cette crise systémique de l’automobile européenne n’est pas conjoncturelle. Elle révèle des failles profondes : surcapacités de production, retard technologique sur l’électrique, coûts énergétiques prohibitifs depuis la guerre en Ukraine, et surtout, une demande intérieure atone. Les ventes de véhicules électriques, censées porter la croissance, stagnent voire reculent (-11% en 2024), malgré les objectifs ambitieux de Bruxelles pour 2035.

Le Maroc : otage de sa réussite

Dans ce contexte, la position du Maroc devient précaire. Plus de 90% de sa production automobile est destinée à l’exportation, principalement vers l’Europe. Cette hyperspécialisation, longtemps considérée comme un atout, se transforme en talon d’Achille. Les premiers signes d’alerte sont déjà visibles : les exportations automobiles marocaines ont chuté de 8,2% début 2025, amputant les recettes de plus de 2 milliards de dirhams.

La dépendance du Maroc ne se limite pas aux débouchés commerciaux. Elle est aussi technologique, capitalistique et stratégique. Les décisions prises à Paris, Munich ou Turin déterminent l’avenir de milliers d’emplois à Tanger ou Kénitra. Quand Stellantis ou Renault tousse en Europe, c’est toute la filière marocaine qui s’enrhume.

L’Algérie : Le réveil du voisin discret

Pendant que le Maroc consolide sa position de leader, l’Algérie reprend en main son développement industriel. L’inauguration de l’usine Fiat à Oran en décembre 2023 est symptomatique. Avec un investissement initial de 200 millions d’euros et une capacité prévue de 90 000 véhicules d’ici 2026, Stellantis mise sur le potentiel du marché algérien.

Certes, les volumes restent modestes comparés au Maroc, mais la dynamique est là : extension de l’usine en cours et surtout, un marché intérieur de 44 millions de consommateurs potentiels. L’Algérie joue la carte du marché domestique, là où le Maroc a tout misé sur l’export.

Les risques d’une mono-dépendance

La stratégie marocaine présente plusieurs vulnérabilités critiques :

  • Vulnérabilité aux chocs externes : La crise européenne montre combien une économie exportatrice peut souffrir des turbulences de ses marchés clients. Le Maroc n’a aucun contrôle sur les politiques européennes, les normes environnementales ou les décisions stratégiques des constructeurs.
  • Faible intégration locale : Malgré les progrès, le taux d’intégration reste insuffisant (69% visé pour 80% en 2030). Le Maroc importe encore massivement les composants à forte valeur ajoutée, limitant les retombées économiques locales.
  • Transition technologique incertaine : Le virage vers l’électrique bouleverse les chaînes de valeur. Le Maroc, spécialisé dans le thermique et l’assemblage, doit réinventer son modèle sans garantie de succès.
  • Concurrence régionale accrue : L’Algérie n’est qu’un exemple. L’Égypte, le Kenya ou l’Éthiopie courtisent aussi les constructeurs. L’avantage comparatif marocain s’érode.

Vers une nécessaire diversification

Face à ces défis, le Maroc n’a d’autre choix que de repenser sa stratégie automobile. La première piste est l’exploitation de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). En outre, il faut renforcer les liens avec le Moyen-Orient et l’Amérique. L’objectif erait de réduire la dépendance européenne de 90% à 60% d’ici 2030.

Par ailleurs, il est important de développer le marché intérieur car avec seulement 35 000 véhicules neufs vendus localement, le Maroc néglige son propre marché.

Enfin, il faudrait selon les spécialistes, monter en gamme, mais cela demande d’investir massivement dans la R&D, les batteries et l’électronique automobile. Le Maroc doit passer du « Made in Morocco » au « Designed in Morocco ».

Le temps presse, l’avenir de centaines de milliers d’emplois en dépend.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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