
En quelques mois, l’Algérie est passée du statut de « retardataire » à celui de partenaire courtisé dans la course à l’hydrogène vert. À Berlin, Alger a réaffirmé son engagement à bâtir un partenariat stratégique avec l’Europe, dans le prolongement d’une stratégie nationale ambitieuse et d’un vaste plan d’investissements énergétiques. Une manière de prolonger la rente gazière tout en se positionnant sur la transition climatique.
Ces derniers jours à Berlin, l’Algérie n’était pas venue faire de la figuration. Lors d’une conférence internationale consacrée à l’Alliance hydrogène Algérie-Europe (ALTEH2A) et au corridor méridional de l’hydrogène (SoutH2), le ministre d’État, ministre des Hydrocarbures et des Mines Mohamed Arkab, via son secrétaire général Madjid Miloud, a réaffirmé « l’engagement ferme » de l’Algérie à construire un partenariat stratégique avec l’Europe autour de l’hydrogène vert.
Cet engagement s’inscrit dans un mouvement de fond. En janvier 2025, Alger a déjà signé à Rome, aux côtés de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Tunisie, une déclaration politique pour concrétiser le projet de pipeline SoutH2, ce corridor de 3 300 km destiné à transporter de l’hydrogène renouvelable de l’Afrique du Nord vers les grands pôles industriels européens. Cet axe pourrait, à lui seul, acheminer jusqu’à 40 % de l’objectif européen d’importation d’hydrogène fixé par le plan REPowerEU.
Pour l’Algérie, c’est l’opportunité de rester un fournisseur clé de l’Europe à l’heure où le gaz fossile est progressivement remplacé par des molécules « vertes ».
Une stratégie nationale enfin clarifiée
Longtemps, les observateurs ont noté le décalage entre le potentiel algérien, son ensoleillement exceptionnel et ses réseaux gaziers déjà connectés à l’Europe, et l’absence de feuille de route claire sur l’hydrogène. Cette phase est désormais close. Une stratégie nationale de développement de l’hydrogène, adoptée fin 2022 et rendue publique en 2023-2024, place l’hydrogène vert au cœur de la transition énergétique algérienne.
Selon le portail de l’Organisation pour l’hydrogène vert (GH2), la stratégie fixe plusieurs objectifs chiffrés à l’horizon 2040 : produire 40 TWh d’hydrogène, dont 10 TWh pour le marché domestique et 30 à 40 TWh pour l’exportation, soit jusqu’à 10 % des besoins européens projetés. L’Algérie se voit donc déjà en pilier de l’approvisionnement de l’UE.
Pour y parvenir, le texte mise sur un mix de 70 % d’énergie solaire photovoltaïque et 30 % d’éolien pour alimenter des électrolyseurs à membrane (PEM), considérés comme plus flexibles. Des projets centralisés de grande capacité sont prévus dans le nord, reliés à de vastes parcs solaires et éoliens dans le sud, mais aussi des unités décentralisées proches des grands sites industriels et des gazoducs, avec à la clé la possibilité d’injecter de l’hydrogène dans les réseaux existants.
Task force avec l’Allemagne et grands projets industriels
L’un des déclencheurs politiques est intervenu en février 2024, lorsque l’Algérie et l’Allemagne ont mis en place une task force bilatérale sur l’hydrogène dans le cadre de leur partenariat énergétique. Objectif : permettre à Alger de structurer ses infrastructures, de lancer une première usine pilote et de sécuriser à terme des volumes d’hydrogène exportés vers l’industrie allemande.
En parallèle, plusieurs mémorandums d’entente ont été signés : avec l’espagnol Cepsa pour un projet intégré d’hydrogène et de dérivés à destination du marché européen, ou encore avec Sonelgaz pour étudier, aux côtés de partenaires allemands, italiens et autrichiens, un vaste dispositif de production et d’exportation via le futur SoutH2 corridor.
Ces annonces traduisent une inflexion : Sonatrach, longtemps concentrée sur les énergies fossiles, commence à se positionner comme acteur de la future chaîne de valeur de l’hydrogène de la production à la logistique.
60 milliards de dollars pour une transition « à l’algérienne »
Cette accélération hydrogène s’inscrit dans un plan d’investissement beaucoup plus large. En octobre 2025, Mohamed Arkab a annoncé un programme de 60 milliards de dollars dans l’énergie sur la période 2025-2029, dont la majeure partie reste dédiée à l’exploration-production d’hydrocarbures, mais avec une enveloppe croissante pour les renouvelables et l’hydrogène.
À cette occasion, le ministre a résumé la philosophie algérienne : « Nous sommes engagés dans la transition énergétique sans abandonner le gaz comme ressource naturelle. » Tout est là : l’Algérie ne renonce pas à son statut de puissance gazière, mais cherche à l’articuler avec une trajectoire de décarbonation progressive, appuyée sur 3 200 MW de nouveaux projets renouvelables et un objectif de réduction du torchage de gaz à moins de 1 % d’ici 2030.
Dans cette logique, l’hydrogène vert apparaît autant comme un outil de conquête de nouveaux marchés que comme un levier pour « verdir » certaines industries locales, sidérurgie, engrais, raffinage, qui sont très carbonées. La stratégie nationale évoque d’ailleurs un potentiel de 10 milliards de dollars de recettes annuelles à l’export à l’horizon 2040, à condition d’attirer les capitaux nécessaires, évalués à près de 25 milliards de dollars pour la seule production.
Un pari industriel et politique
Le défi est immense, mais les lignes bougent. L’ouverture progressive du secteur des renouvelables, la montée en puissance de Sonelgaz sur les projets solaires, la multiplication des accords avec des partenaires européens et le positionnement d’Alger sur le SoutH2 corridor dessinent un paysage nouveau : celui d’un pays qui entend rester indispensable à l’Europe, non plus seulement par le gaz, mais aussi par l’hydrogène.
Pour l’Algérie, il s’agit de transformer une rente fossile en moteur de diversification économique, de création d’emplois qualifiés et de réindustrialisation verte. La conférence de Berlin était une première étape, mais elle envoie un signal clair : dans la compétition mondiale pour l’hydrogène vert, Alger ne veut plus être spectatrice, mais co-architecte d’un nouvel ordre énergétique euro-méditerranéen.



