
Arsenal négocie actuellement le renouvellement de son partenariat controversé avec Visit Rwanda, malgré les protestations croissantes de supporters et l’appel du gouvernement congolais à mettre fin à ce « contrat taché de sang ». Alors que le Bayern Munich vient de réviser son accord sous la pression, le club londonien semble déterminé à poursuivre cette collaboration qui divise profondément sa base de fans. Une décision qui cristallise les tensions entre éthique sportive et réalités économiques du football moderne.
Tandis que le contrat actuel entre Arsenal et Visit Rwanda touche à sa fin cette saison, les négociations pour un renouvellement sont en cours, probablement à des conditions financières améliorées. Une décision qui intervient dans un contexte explosif : le gouvernement de la République Démocratique du Congo a directement interpellé les propriétaires d’Arsenal, qualifiant l’accord de « blood-stained sponsorship deal » en raison du soutien présumé du Rwanda aux rebelles M23 dans l’est du Congo.
La controverse prend une nouvelle dimension avec la mobilisation sans précédent des supporters. Le groupe « Gunners for Peace » distribue des brassards pour couvrir le logo Visit Rwanda sur les maillots et organise des manifestations devant l’Emirates Stadium. Leur message est clair : « 90% des fans d’Arsenal disent non. Si le conseil d’administration accepte encore cet argent sale, cela montre au monde que nos fameuses ‘valeurs’ et notre âme sont à vendre« .
Le contraste Bayern-Arsenal : deux approches opposées
L’attitude d’Arsenal contraste fortement avec celle du Bayern Munich. Le géant allemand, après avoir envoyé des représentants en RDC pour évaluer la situation, a récemment révisé son accord avec le Rwanda, le transformant en un partenariat dédié au développement du football plutôt qu’en sponsoring commercial. Cette décision, saluée par les observateurs, met encore plus en lumière l’intransigeance apparente du club londonien.
Paradoxalement, Stan Kroenke, propriétaire d’Arsenal, étend les partenariats avec Visit Rwanda à ses équipes américaines, les LA Rams devenant la première équipe NFL à signer avec la marque touristique rwandaise. Un signal fort que la famille Kroenke considère ces accords comme stratégiques malgré les controverses.
Depuis 2018, le logo « Visit Rwanda » s’affiche sur les maillots d’Arsenal. Ce qui aurait pu n’être qu’un sponsoring touristique parmi d’autres est devenu le symbole d’un débat plus large sur l’éthique du sport business et le « sportswashing » – cette pratique consistant à utiliser le sport pour redorer l’image d’un pays ou d’un régime.
Le Rwanda investit massivement dans le football européen. Après Arsenal (initialement 30 millions de livres sur 3 ans, puis environ 10 millions par an depuis 2021), c’est le Paris Saint-Germain qui a signé en 2019, puis le Bayern Munich en 2023. Ces montants, considérables pour un pays où le PIB par habitant reste modeste, soulèvent des questions légitimes.
L’escalade des tensions en 2025
La question du renouvellement a ravivé et intensifié les critiques. Arsenal pourrait doubler ses revenus de sponsoring manche avec un nouveau partenaire, passant des 10 millions de livres actuels à 20 millions potentiels. Cette opportunité manquée financièrement est vue par certains comme le prix à payer pour maintenir une relation avec un régime controversé.
Le gouvernement britannique a suspendu son aide au Rwanda en février 2025 suite aux préoccupations concernant son soutien au groupe rebelle M23 en République Démocratique du Congo. Les Nations Unies, le G7 et plusieurs gouvernements occidentaux accusent le Rwanda d’alimenter un conflit qui a déplacé plus de sept millions de personnes selon le HCR.
La ministre des Affaires étrangères de la RDC, Thérèse Kayikwamba Wagner, a révélé qu’Arsenal n’avait pas répondu à ses demandes de rencontre lors de sa visite à Londres. Un silence diplomatique qui contraste avec l’engagement du Bayern Munich, dont les représentants se sont rendus en RDC pour évaluer la situation sur le terrain.
Du côté des critiques, les opposants pointent plusieurs problématiques majeures. D’abord, l’allocation des ressources : comment justifier de tels investissements marketing quand le Rwanda reçoit encore une aide internationale substantielle ? Des députés britanniques ont questionné la pertinence de maintenir l’aide au développement vers un pays capable de financer des clubs de Premier League.
La question des droits humains en question
Plus profondément, certains y voient une tentative de détourner l’attention des questions de droits humains. Le régime de Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000, fait l’objet de critiques récurrentes concernant la liberté d’expression et l’opposition politique. Human Rights Watch et Amnesty International documentent régulièrement des cas de répression et de disparitions d’opposants.
Le timing pose également question : ces investissements interviennent alors que le Rwanda cherche à se positionner comme hub technologique et touristique africain, mais aussi à faire oublier son rôle controversé dans les conflits en République Démocratique du Congo voisine. L’accusation de soutien aux rebelles M23 par plusieurs instances internationales renforce ces inquiétudes.
Le gouvernement rwandais et ses supporters avancent une logique économique différente. Le tourisme représente désormais la première source de devises du pays, générant plus de 500 millions de dollars annuellement. Dans cette perspective, le sponsoring sportif devient un investissement marketing calculé pour attirer visiteurs et investisseurs.
Les défenseurs soulignent aussi les progrès remarquables du Rwanda depuis le génocide de 1994 : croissance économique soutenue, réduction de la pauvreté, système de santé universel, et position de leader continental en matière de représentation féminine au parlement. Le pays cherche légitimement, selon eux, à changer son image internationale encore marquée par les tragédies du passé.
Clare Akamanzi, directrice du Rwanda Development Board, défend ces partenariats comme des investissements stratégiques qui génèrent un retour sur investissement mesurable en termes de tourisme et d’investissements directs étrangers. Le nombre de touristes britanniques au Rwanda a effectivement augmenté de 25% depuis le début du partenariat avec Arsenal.
Un miroir des tensions du football moderne
Cette controverse révèle les contradictions du football contemporain. Les clubs européens, pressés financièrement, peinent à refuser des sponsors généreux. Arsenal, confronté à la concurrence de clubs soutenus par des États pétroliers, voit dans ce partenariat une source de revenus nécessaire, même si elle représente une fraction relativement modeste de ses revenus totaux, le partenanriat étant évalué à environ 11 M£.
Le cas rwandais n’est pas isolé. Des Émirats arabes unis au Qatar, en passant par l’Arabie saoudite et la Chine, de nombreux pays utilisent le football comme outil de soft power. Le Rwanda innove en étant le premier pays africain non pétrolier à jouer dans cette cour, mais avec des moyens plus limités et des enjeux différents.
Mais cette stratégie comporte des risques croissants. L’association avec la controverse peut cristalliser une image négative durable. Les supporters d’Arsenal sont désormais profondément divisés, avec une mobilisation active contre le partenariat qui prend de l’ampleur. Les manifestations et les campagnes de boycott pourraient ternir davantage l’image du Rwanda plutôt que de l’améliorer.
Vers quel avenir ?
Le débat sur Visit Rwanda pose des questions fondamentales sur la responsabilité sociale du sport. Les clubs doivent-ils filtrer leurs sponsors selon des critères éthiques ? Si oui, où placer le curseur ? L’argent des compagnies aériennes polluantes ou des entreprises de paris est-il plus acceptable ?
L’UEFA et la FIFA restent silencieuses sur ces questions, laissant les clubs naviguer seuls dans ces eaux troubles. Pendant ce temps, le Rwanda continue sa stratégie, organisant des événements sportifs majeurs comme le Championnat du monde de cyclisme 2025 et courtisant la Formule 1.
Le football, miroir de nos sociétés, continuera de cristalliser ces tensions. La question reste ouverte : les clubs peuvent-ils encore prétendre incarner des valeurs tout en acceptant de l’argent que n’approuvent pas ses supporters ? La réponse d’Arsenal dans les prochaines semaines enverra un signal fort à l’ensemble du monde du football.