Une présidentielle sous haute tension en Côte d’Ivoire dans un climat d’exclusions et de défis économiques


Lecture 5 min.
Election en Côte d'Ivoire
Election en Côte d'Ivoire

Le 25 octobre 2025, plus de 8,7 millions d’électeurs ivoiriens sont appelés aux urnes pour élire leur président. Dans un contexte marqué par la candidature controversée d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat et l’exclusion des principales figures de l’opposition, ce scrutin cristallise les tensions politiques et sociales d’un pays qui reste la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest. Entre croissance économique à deux vitesses, menaces sécuritaires et fractures politiques persistantes, cette élection s’annonce déterminante pour l’avenir de la Côte d’Ivoire.

Une campagne électorale marquée par l’exclusion des ténors de l’opposition

La campagne électorale, ouverte le 10 octobre et qui s’achèvera le 23 octobre à minuit, se déroule dans une atmosphère politique particulièrement tendue. Le président sortant Alassane Dramane Ouattara, 83 ans, au pouvoir depuis 2011 et candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), brigue un quatrième mandat consécutif, alimentant un débat intense sur la longévité au pouvoir et les limites constitutionnelles.

Le Conseil constitutionnel n’a retenu que cinq candidatures sur les soixante dossiers déposés auprès de la Commission électorale indépendante (CEI). Outre Alassane Ouattara, seuls Jean-Louis Billon, l’ancienne première dame Simone Ehivet Gbagbo, Henriette Lagou et Ahoa Don Mello sont autorisés à concourir. Cette sélection drastique a exclu des figures majeures de l’opposition, notamment l’ancien président Laurent Gbagbo (Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire), Tidjane Thiam (PDCI-RDA) et Pascal Affi N’Guessan (Front Populaire Ivoirien), fragilisant ainsi la crédibilité du processus électoral aux yeux de leurs partisans.

Des manifestations réprimées révélatrices des tensions

L’exclusion de ces candidats emblématiques a provoqué une vive réaction de l’opposition. Une marche conjointe PPA-CI/PDCI-RDA, initialement prévue le 4 octobre puis reportée au 11 octobre, a été interdite par les autorités préfectorales. Malgré cette interdiction, les partisans du « front commun » ont tenté de manifester, entraînant une dispersion par les forces de l’ordre. Le bilan officiel fait état de 710 interpellations selon le ministère de l’Intérieur, tandis que le PPA-CI dénonce deux morts parmi ses militants.

Ces événements ravivent le spectre des violences postélectorales qui ont endeuillé le pays par le passé : environ 3 000 morts en 2010-2011 et 85 morts avec plus de 400 blessés en 2020. Le déploiement de moyens sécuritaires considérables témoigne de la volonté gouvernementale de prévenir toute escalade, mais également de la fragilité du climat politique.

Des enjeux économiques cruciaux malgré une croissance soutenue

La Côte d’Ivoire affiche l’une des croissances les plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest, avec une moyenne de 6 à 7% par an depuis 2012 selon le FMI et la Banque mondiale. Pourtant, cette performance macroéconomique masque des disparités régionales et sociales profondes. La flambée historique des prix mondiaux du cacao en 2024-2025, principal produit d’exportation représentant 40% des exportations mondiales, illustre cette dualité : si elle dope les recettes de l’État, elle fragilise simultanément la filière face aux maladies des cacaoyers et à la baisse des récoltes, tout en impactant le pouvoir d’achat des populations.

L’emploi des jeunes constitue un défi majeur dans un pays où plus de 70% de la population a moins de 35 ans. Le chômage et le sous-emploi massifs alimentent les frustrations sociales et font de la création d’opportunités économiques une priorité absolue. La question de la diversification économique s’impose également comme un impératif face à la dépendance excessive au cacao et à la vulnérabilité aux fluctuations des marchés internationaux.

Sur le plan sécuritaire, la Côte d’Ivoire fait face à une menace jihadiste croissante, particulièrement le long de sa frontière nord avec le Burkina Faso. Dans un contexte régional marqué par une succession de coups d’État militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la stabilité ivoirienne apparaît comme un enjeu dépassant les frontières nationales. Une élection contestée pourrait fragiliser davantage cet espace ouest-africain déjà sous tension.

La réconciliation nationale, un chantier inachevé

Depuis l’instauration du multipartisme en 1990, la Côte d’Ivoire n’a connu aucune alternance politique pacifique. Les blessures de la guerre civile (2002-2011) et les traumatismes des crises postélectorales restent vivaces dans la mémoire collective.  L’instrumentalisation politique des identités ethniques et régionales demeure un risque majeur, particulièrement en période électorale.

La question de la représentativité politique se pose également avec acuité. Malgré la présence de deux femmes parmi les cinq candidats retenus, la participation effective des femmes et des jeunes aux instances décisionnelles reste limitée, alors que leur poids démographique et social pourrait s’avérer déterminant dans l’issue du scrutin.

L’organisation de cette élection présidentielle mobilise 25 678 bureaux de vote, dont 308 à l’étranger. La transparence du processus, l’accès équitable aux médias publics et la gestion des éventuels contentieux électoraux seront scrutés par les observateurs nationaux et internationaux.

La capacité de la Côte d’Ivoire à surmonter pacifiquement cette échéance électorale déterminera non seulement son avenir immédiat, mais également son rôle de leader régional en Afrique de l’Ouest.

Avatar photo
LIRE LA BIO
Franck Biyidi est diplômé de l'IRIC (Institut des Relations Internationales du Cameroun) je suis spécialiste des relations internationales au sein de la Francophonie et de l'Union Africaine et de tout ce qui touche la diplomatie en Afrique francophone
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News