Hausse du prix du cacao : coup politique de Ouattara à l’approche des élections en Côte d’Ivoire


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Alassane Ouattara, Président ivoirien
Alassane Ouattara, Président ivoirien

Ce mercredi 1er octobre, Alassane Ouattara a pris tout le monde de court en annonçant, dans une mise en scène digne d’un meeting politique, une hausse spectaculaire du prix bord-champ du cacao pour la campagne 2025-2026. Fixé désormais à 2 800 francs CFA le kilogramme (soit environ 4,27 euros), ce nouveau prix représente une augmentation de 1 000 francs CFA par rapport à la campagne précédente. Une « bonne nouvelle » pour les producteurs, certes, mais une annonce aux forts relents électoralistes, tant la forme et le fond rappellent les techniques classiques de campagne.

Une mise en scène orchestrée aux couleurs du RHDP

Le décor était soigneusement planté. Hier soir, au Parc des expositions d’Abidjan, la foule était habillée de t-shirts orange, couleur emblématique du RHDP, le parti présidentiel. La scène n’avait rien à envier à un rassemblement politique. Entre discours flatteurs des responsables de la filière cacao et ovation nourrie à l’annonce du nouveau prix, tout transpirait la propagande pré-électorale.

Et pour cause : en Côte d’Ivoire, le cacao dépasse de loin le statut d’un simple produit agricole. C’est un pilier de l’économie nationale, une source de revenus pour des millions de familles et un sujet hautement sensible sur le plan politique. En annonçant personnellement cette revalorisation, Alassane Ouattara ne s’adresse pas seulement aux planteurs : il parle à tout un électorat rural, stratégique à l’approche d’un scrutin décisif.

Une décision économique… ou politique ?

Sur le fond, l’augmentation du prix est évidemment bien accueillie. Les planteurs, longtemps victimes des fluctuations des cours mondiaux et d’une répartition inéquitable des revenus, voient enfin leur rémunération progresser. Le vice-président de l’Organisation interprofessionnelle agricole, Doua Blondé Obed, rappelle que le différentiel de revenu décent obtenu auprès des chocolatiers permet aujourd’hui de mieux rémunérer les producteurs, à hauteur de 450 milliards de francs CFA par an.

Mais derrière cette avancée, une question persiste : pourquoi maintenant ? Pourquoi cette annonce, aussi spectaculaire que tardive, à quelques mois d’échéances électorales majeures, alors que les revendications des planteurs datent de plusieurs années ? Pourquoi une telle personnalisation de la décision, comme si le chef de l’État en était le seul architecte ? En Côte d’Ivoire, le mélange des genres entre l’action gouvernementale et la campagne politique n’a jamais été aussi flagrant.

Une générosité intéressée ?

En retour, les planteurs, ou du moins leurs représentants, ont annoncé un don de 20 millions de francs CFA (environ 30 500 euros) au Président Ouattara. Ce geste, pour le moins inhabituel, soulève des interrogations sur la nature de la relation entre le pouvoir et certaines organisations agricoles. Ce cadeau sonne comme un acte de loyauté politique, et non comme une initiative autonome de producteurs indépendants.

Ce type de démarche interroge sur la neutralité du débat démocratique et sur la capacité des institutions à faire la différence entre action publique et campagne électorale déguisée. En d’autres termes, peut-on encore parler d’équité électorale quand le pouvoir en place mobilise l’appareil d’État pour renforcer son image et fidéliser des groupes socio-économiques stratégiques ?

Une élection verrouillée à double tour

Plus inquiétant encore, cette atmosphère de campagne masquée survient dans un contexte politique tendu, où plusieurs grandes figures de l’opposition sont écartées du jeu électoral. Guillaume Soro, ancien président de l’Assemblée nationale, est en exil et condamné par contumace. Laurent Gbagbo, bien que revenu en Côte d’Ivoire, fait toujours face à des obstacles administratifs et judiciaires qui l’empêchent de se porter candidat. Quant à d’autres opposants, leur marge de manœuvre reste étroite, dans un climat de suspicion, de restrictions et de contrôles renforcés.

Ainsi, pendant que le Président en exercice accumule les gestes de séduction électorale, l’opposition peine à se faire entendre. Cela pose une question démocratique d’envergure : peut-on parler d’élections libres et transparentes quand certains candidats de poids sont empêchés, pendant que le chef de l’État utilise les moyens de l’État pour préparer sa réélection ?

Le cacao, otage du jeu politique

La hausse du prix du cacao est en soi une bonne chose. Elle était attendue, réclamée, et répond à une vraie nécessité sociale. Mais elle ne peut faire oublier le contexte de verrouillage politique dans lequel elle intervient. Le cacao, richesse nationale, est en train de devenir un instrument de campagne, voire une monnaie d’échange électorale, dans un pays où la démocratie peine à se consolider. Alassane Ouattara, en homme politique averti, sait pertinemment que le monde rural pèse lourd dans les urnes. En misant sur cette population, il s’assure un appui de taille. Mais à quel prix démocratique ?

L’annonce du nouveau prix du cacao par Alassane Ouattara n’est pas qu’un geste économique : c’est un coup politique aux allures de pré-campagne. Si les planteurs peuvent légitimement se réjouir de cette revalorisation, il serait naïf de ne pas y voir une stratégie de reconquête électorale bien huilée. Dans le même temps, l’exclusion de certains grands candidats jette une ombre sur la crédibilité du scrutin à venir. Pour que la Côte d’Ivoire avance, elle ne doit pas seulement mieux rémunérer ses planteurs. Elle doit aussi garantir à tous ses citoyens une démocratie ouverte, inclusive et équitable.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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