
La scène politique malienne a connu ce mercredi 11 juin 2025 un tournant important. En adoptant un projet de loi révisant la charte de la Transition afin de permettre au président de la Transition, le colonel devenu général Assimi Goïta, de briguer un mandat de cinq ans renouvelable à partir de 2025, le gouvernement malien vient d’ouvrir un vaste boulevard vers un pouvoir consolidé et durable pour l’homme fort de Bamako.
Ce qui aurait dû être une transition temporaire, tournée vers le rétablissement de l’ordre constitutionnel après deux coups d’État successifs, se transforme désormais en un projet politique pérenne, habillé d’arguments juridiques et d’un langage populiste de « refondation ». Les Assises nationales de 2021, qui avaient pour but de redonner une voix au peuple malien dans la reconstruction de son État, sont aujourd’hui invoquées pour justifier un processus qui conforte une logique de pouvoir personnel. C’est un glissement inquiétant.
De la transition à la Présidence à vie masquée
Lorsqu’Assimi Goïta renverse le Président Bah N’Daw en mai 2021, après avoir déjà été l’architecte de la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, il promet une transition de 18 à 24 mois. Le calendrier électoral est annoncé, repoussé, puis suspendu, invoquant tantôt des raisons de sécurité, tantôt des obstacles techniques. Les élections prévues pour février 2024 n’auront pas lieu. À la place, c’est une modification profonde de la Charte de la Transition qui s’impose, préparée dans les couloirs du pouvoir et validée en Conseil des ministres sans débat parlementaire, dans un pays où la junte gouverne par ordonnances.
Cette loi adoptée permet désormais au président de Transition, en place depuis bientôt quatre ans, de devenir un Président tout court, avec la bénédiction d’un texte taillé sur mesure, comme le furent les Constitutions de tant d’autocrates sur le continent africain.
La Confédération AES, paravent politique
Le gouvernement justifie cette réforme au nom d’une « harmonisation » avec les pays membres de la Confédération des États du Sahel (AES), alliance formée avec le Burkina Faso et le Niger. C’est un artifice. Car ni l’un ni l’autre de ces deux pays ne connaît une réelle stabilité institutionnelle. Les juntes y règnent également sans partage, avec des discours souverainistes, une rupture avec les anciennes puissances coloniales et une méfiance envers les processus électoraux. En réalité, la Confédération AES sert davantage de rempart contre les pressions extérieures que de modèle démocratique.
L’argument sécuritaire est également mobilisé : le pays serait en guerre, menacé par des puissances étrangères, et donc il faudrait « poursuivre la Transition » jusqu’à la pacification totale. Mais cette pacification est devenue un horizon sans fin. Le Mali est en guerre depuis quinze ans, et aucun observateur sérieux ne croit qu’une victoire militaire décisive est proche. Cette stratégie 100% sécuritaire, menée avec l’appui des mercenaires de Wagner (désormais rebaptisés Africa Corps), a surtout fait des victimes civiles, et n’a pas empêché la multiplication des attaques djihadistes, comme l’ont récemment montré les drames de Dioura, Boulikessi ou Tessit.
Un boulevard sans garde-fous
Loin de poser les fondations d’une nouvelle démocratie, ce projet de loi consacre un régime sans contrepouvoirs. Le Conseil national de Transition, qui tient lieu de Parlement provisoire, n’a aucun rôle réel. La presse indépendante est muselée, les ONG nationales et internationales sont surveillées, et les voix critiques s’expriment désormais à leurs risques et périls. Dans ce contexte, la révision de la Charte n’est pas l’expression de la volonté populaire, mais la validation d’un scénario écrit d’avance.
Cette centralisation du pouvoir autour d’Assimi Goïta s’inscrit dans une logique régionale plus large, celle d’un autoritarisme justifié par la lutte antiterroriste et les discours de souveraineté. Elle met en péril non seulement la démocratie malienne, mais aussi la crédibilité des transitions dans toute la région sahélienne.
Le peuple malien mérite mieux
Le peuple malien, qui a tant souffert des violences, des pénuries, de la corruption et de l’instabilité, mérite mieux que ce qui lui est aujourd’hui proposé. Il mérite un débat ouvert, des élections libres, une justice indépendante et un gouvernement responsable. Il mérite qu’on lui rende le droit de choisir ses dirigeants, plutôt que de subir la reconduction perpétuelle d’un pouvoir militaire. En prolongeant la transition et en ouvrant la voie à un mandat présidentiel renouvelable pour Assimi Goïta, le gouvernement malien ne répond pas à une demande populaire, il enterre la promesse de la transition démocratique.
Le Mali entre ainsi dans une zone grise, entre militarisation du pouvoir, rhétorique souverainiste, et verrouillage institutionnel. Le boulevard est tracé, certes. Mais il mène à une destination périlleuse : celle d’un autoritarisme renforcé, sous couvert de légitimité constitutionnelle.