Mali : Assimi Goïta verrouille le jeu politique au nom de la stabilité


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Assimi Goïta, président de la Transition du Mali
Assimi Goïta, président de la Transition malienne

Le président de la Transition du Mali, le général d’armée Assimi Goïta, a suspendu jusqu’à nouvel ordre les activités des partis politiques et des associations à caractère politique. Cette décision, annoncée à la télévision nationale via un décret présidentiel, intervient alors que les partis s’apprêtaient à organiser un rassemblement pour contester la transition et exiger un retour à l’ordre constitutionnel.

Déjà en avril 2024, une suspension similaire avait été mise en œuvre pour des « raisons politiques et sécuritaires ». Aujourd’hui, le pouvoir justifie cette mesure par le besoin de créer un climat favorable au dialogue intermalien et à la paix nationale, à l’approche d’importantes décisions sur l’avenir institutionnel du pays.

Vers un mandat présidentiel prolongé pour Goïta ?

Ces événements font suite aux recommandations émises lors de la consultation des Forces vives de la Nation, tenue fin avril à Bamako. Cette rencontre a proposé de réviser la charte de la transition pour élever le général Goïta au rang de Président de la République pour un mandat de cinq ans, renouvelable.

Les participants ont aussi recommandé de suspendre les processus électoraux, de maintenir les organes actuels jusqu’à la pacification du pays et de dissoudre tous les partis politiques. Une série de propositions qui traduisent une volonté claire de reconfigurer profondément le système politique malien en faveur d’un exécutif renforcé et centralisé.

La jeunesse malienne monte au créneau

Face à cette dynamique autoritaire, la jeunesse malienne sort de l’ombre. Réunis à la Maison de la presse, jeunes leaders, intellectuels et activistes ont signé un manifeste dénonçant une dérive autoritaire et appelant à un retour à la légalité constitutionnelle. Ils s’opposent à un mandat présidentiel sans élection et à la suppression des partis politiques.

Leur action, organisée malgré des tentatives d’intimidation, témoigne d’un engagement croissant de la société civile pour défendre les libertés fondamentales et la démocratie. Ces jeunes entendent résister à ce qu’ils perçoivent comme une tentative de confiscation du pouvoir par la junte.

Vers une opposition civile structurée

Le mouvement des jeunes leaders s’inscrit dans une dynamique plus large de contestation politique. Une coalition informelle de partis politiques, d’organisations de la société civile et de citoyens se forme pour faire barrage au verrouillage institutionnel en cours. Une nouvelle manifestation de grande ampleur est déjà en préparation.

Les revendications sont claires : des élections libres, le respect du cadre institutionnel, et une gouvernance inclusive. Dans un contexte sécuritaire et économique fragile, ces voix appellent à une transition démocratique crédible plutôt qu’à un pouvoir militaire à durée indéterminée.

Des recommandations qui bousculent l’ordre établi

Lors de la Phase nationale de la consultation, trois priorités ont été fixées : réduction du nombre de partis, relecture de la charte des partis, et lutte contre le nomadisme politique. Les mesures proposées incluent la dissolution de tous les partis, la création de conditions strictes pour toute reconstitution, et la suppression du financement public.

Des restrictions draconiennes sont aussi envisagées : une caution de 100 millions de FCFA pour fonder un parti, un âge minimum et maximum pour les dirigeants, et l’exclusion des chefs religieux ou traditionnels du processus électoral. Une refonte radicale du système politique malien semble se dessiner.

Personnalisation croissante du pouvoir exécutif

Le projet de faire d’Assimi Goïta un Président à part entière, avec un mandat renouvelable, s’inscrit dans une logique de consolidation du pouvoir. Inspirée des modèles autoritaires voisins, notamment au Burkina Faso et au Niger, cette proposition marque une rupture nette avec les engagements de transition initialement pris.

Parallèlement, les élections sont reportées, les libertés restreintes, et les manifestations soumises à autorisation préalable. La démocratie malienne risque ainsi de céder la place à une gouvernance fortement personnalisée et peu perméable à la contestation.

Les partis politiques dans la tourmente

Près d’une centaine de partis se sont réunis à Bamako pour dénoncer une tentative de les dissoudre et d’étouffer toute opposition. Leur meeting a été interdit par les autorités, renforçant le sentiment d’une fermeture progressive de l’espace démocratique. La méfiance s’installe, d’autant plus que la promesse de restituer le pouvoir aux civils fin mars 2024 n’a pas été tenue.

Les partis dénoncent un processus biaisé, mené sans véritable concertation, et alertent sur les risques d’un glissement autoritaire durable. Pour eux, cette transition n’est plus qu’un prétexte à la prise de pouvoir définitive par la junte.

Vers une normalisation de l’autoritarisme dans l’AES ?

Le Mali semble s’aligner sur le modèle de ses voisins sahéliens membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), où les partis ont été suspendus pour laisser place à un pouvoir militaire consolidé. Cette tendance autoritaire inquiète les défenseurs du pluralisme démocratique, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Malgré une répression croissante, une partie de la population continue de résister et d’alerter l’opinion publique. Mais la marge de manœuvre pour une opposition politique libre et structurée devient chaque jour plus étroite, dans un Mali où l’autoritarisme semble vouloir se substituer durablement à la démocratie.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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