Heineken contraint d’abandonner ses brasseries de l’est du Congo


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Usine de Bralima à Kisangani
Usine de Bralima à Kisangani

Le géant Heineken a perdu le contrôle de ses trois sites industriels du Nord et Sud-Kivu, occupés par des groupes armés dans le contexte de l’offensive du M23. Une situation qui rappelle les crises de 1997 et 2000-2003, mais avec des enjeux économiques désormais plus importants pour le brasseur néerlandais.

L’histoire se répète pour Heineken en République démocratique du Congo. Le brasseur néerlandais Heineken, via sa filiale congolaise Bralima, a annoncé vendredi soir avoir « perdu le contrôle opérationnel » de ses trois sites de production de l’est du pays : Bukavu, Goma et Uvira. Une situation sans précédent depuis plus d’un quart de siècle.

« Les conditions nécessaires pour travailler de manière responsable et sûre ne sont plus réunies. Depuis le 12 juin, nous n’exerçons plus de contrôle sur ces installations », reconnaît le groupe dans un communiqué laconique, évitant soigneusement de désigner les responsables de cette occupation.

Une paralysie totale de l’activité industrielle

Les conséquences opérationnelles sont immédiates et lourdes. Le personnel expatrié a été exfiltré dans l’urgence, tandis qu’un millier de salariés congolais se retrouvent dans l’impossibilité d’accéder à leurs postes de travail. Les installations, qui représentaient environ un tiers de la production nationale du groupe (marques Primus, Heineken et Mützig), constituent un maillon essentiel de l’approvisionnement des provinces du Nord et Sud-Kivu, ainsi que de l’Ituri.

La situation logistique s’avère particulièrement préoccupante. Les stocks ont été pillés et le centre de contrôle a subi des dommages – un incident déjà signalé en mars dernier. Ces sites industriels, stratégiquement positionnés près du port de Bukavu et de l’aéroport de Goma, représentent un butin de choix : générateurs électriques, carburant, véhicules et équipements divers attirent les convoitises dans une région où ces ressources sont précieuses.

L’impossible équation sécuritaire de l’est congolais

Cette crise s’inscrit dans la recrudescence des violences liées à l’offensive du mouvement rebelle M23, que Kinshasa accuse d’être soutenu par le Rwanda. Malgré la contre-offensive des Forces armées de la RDC (FARDC), appuyée par des drones turcs, les insurgés ont réussi à couper la route nationale 2 et à encercler progressivement Goma, capitale du Nord-Kivu.

Pour Heineken, cette situation fait écho à des précédents douloureux. En 1997, lors de la chute du régime de Mobutu et l’arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila, la compagnie avait déjà dû suspendre temporairement sa production dans ces mêmes sites, évacuer ses expatriés et subir des pillages massifs. Entre 2000 et 2003, pendant la deuxième guerre du Congo, les installations étaient tombées sous le contrôle du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), contraignant l’entreprise à financer des postes de contrôle et à tolérer la présence de rebelles dans ses propres usines.

Un dilemme stratégique pour le géant Holllandais

Face à cette nouvelle crise, Heineken se trouve confronté à un dilemme complexe. La RDC constitue le deuxième marché subsaharien du groupe après le Nigeria et la région Moyen-Orient & Afrique génère 14% de son chiffre d’affaires mondial. Cependant, chaque mois sans production coûte plusieurs millions d’euros.

L’entreprise explore plusieurs options pour limiter les dégâts. Une solution intermédiaire consisterait à transférer temporairement la mise en bouteille vers la brasserie de Kinshasa et à réimporter les produits par barges fluviales – un schéma déjà expérimenté avec succès après la crise de 1997. Parallèlement, Bralima négocie un accès humanitaire pour évaluer l’état de ses équipements et organise des importations ponctuelles depuis le Rwanda et l’Ouganda pour éviter la pénurie totale dans les Kivu.

L’expérience de la résilience

« Nous avons déjà reconstruit après la guerre de 1997, nous le ferons encore », confie sous couvert d’anonymat un cadre dirigeant de Bralima à Kinshasa. Cette détermination s’appuie sur l’expérience de la crise de la fin des années 1990. En effet, il avait fallu deux années de travaux et une négociation politique post-conflit pour relancer pleinement les activités.

Mais les enjeux ont changé d’échelle. Le marché congolais s’est considérablement développé, et la concurrence s’est intensifiée. Plus le M23 consolide son emprise territoriale, plus la perspective d’une remise en service rapide des installations s’éloigne.

Pour l’heure, Heineken adopte une stratégie d’attente prudente : maintien de la rémunération des employés, communication minimaliste et aucune annonce de retrait définitif. Un pari sur l’avenir qui témoigne de l’importance stratégique de ce marché, malgré son instabilité chronique.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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