
Figure historique de la démocratie malienne, avocat chevronné et fondateur du Congrès National d’Initiative Démocratique (CNID-Faso Yiriwa Ton), Me Mountaga Tall est monté au créneau pour dénoncer l’audit ordonné par le gouvernement malien sur les comptes des partis politiques dissous.
Dans une déclaration au vitriol, l’avocat Mountaga Tall qualifie l’opération d’« illégale », de « tragi-comédie », et d’« entreprise de discrédit », affirmant que l’État veut faire porter aux formations politiques la responsabilité d’un système qu’il a lui-même mis en place.
Un audit ordonné après la dissolution générale des partis
C’est une note de la Section des comptes de la Cour suprême, rendue publique à la mi-juin, qui met le feu aux poudres. Le document appelle les anciens présidents de partis politiques à transmettre, au plus tard le 30 juin 2025, une série de documents comptables détaillés couvrant la période de juillet 2000 à mai 2025 : états financiers, pièces justificatives des dépenses, relevés bancaires, journaux de banque et de caisse.
Problème : les partis politiques ont été dissous par décret présidentiel, le 13 mai 2025. Depuis cette date, ils n’ont plus d’existence légale, et toute activité politique formelle est interdite, de même que les réunions ou l’usage de locaux par leurs anciens dirigeants. Cette situation rend selon Me Tall la demande gouvernementale à la fois illégale et impossible à exécuter.
Une « fausse ouverture » suivie d’un piège juridique
Dans un premier temps, Me Tall affirme avoir accueilli favorablement cette initiative. Il voyait là une occasion de démontrer que son parti, le CNID-FYT, avait toujours fonctionné dans la transparence, recevant uniquement les subventions légales et dûment contrôlées par la Cour des comptes. Mais cet espoir fut douché. « Je vais laver l’honneur du CNID-Faso Yiriwa Ton », affirme-t-il. « Contrairement à une fausse rumeur, l’État ne finançait pas notre parti, ni aucun autre, en dehors de la subvention légale », a-t-il soutenu.
Mais très vite, l’avocat voit dans la demande gouvernementales une manœuvre de décrédibilisation, dénonçant un « piège grossier » destiné à inciter les anciens dirigeants à violer les termes même de la dissolution.
Des interdictions juridiques qui rendent l’audit irréalisable
Mountaga Tall détaille les points juridiques qui, selon lui, rendent l’audit inapplicable :
- Les partis n’existent plus juridiquement depuis le décret de dissolution. Aucune personne ne peut dès lors se présenter comme président, administrateur ou représentant.
- L’accès aux documents est rendu impossible : les sièges des partis sont fermés, les archives sont inaccessibles et toute réunion de leurs anciens responsables est interdite.
- L’audit viole les termes du décret : l’article 2 du décret n°2025-0339/PT-RM interdit formellement toute activité liée aux ex-organisations politiques, y compris l’usage de locaux ou de moyens matériels.
Dans un trait d’ironie qui a fait mouche sur les réseaux sociaux, Me Tall résume : « On demande à un mort de participer à ses funérailles », reprenant les termes d’un jeune collègue à lui.
Une justice instrumentalisée ?
Selon lui, la Section des comptes de la Cour suprême aurait dû refuser de transmettre la demande, ou alerter le Premier ministre sur son illégalité. En obtempérant, elle risquerait de se rendre complice d’une violation manifeste du droit, dit-il. « Il ne s’agit pas de faire un audit pour connaître la vérité sur les comptes des partis, mais d’une opération en vue de les salir et de les discréditer ».
L’ancien ministre, avocat depuis 43 ans, estime qu’il n’y a aucune base juridique pour exiger de documents à des structures qui ont été dissoutes sans préavis ni période de transition administrative. Me Tall n’est pas seul à s’élever contre cette démarche. Plusieurs anciens responsables de partis politiques ont également exprimé leur incompréhension et leur indignation. Le délai de deux semaines est jugé irréaliste, et la démarche perçue comme précipitée et orientée.
Beaucoup rappellent que la dissolution brutale a empêché toute organisation des archives. Certains y voient une volonté à peine voilée d’humilier les formations politiques et de clore l’ère du multipartisme sous une avalanche de soupçons.
Respect du droit, même en désaccord
Fidèle à son combat juridique, Me Tall souligne que le refus d’obtempérer à cette convocation n’est pas un acte de défiance vis-à-vis de l’État, mais une posture de respect du droit : « Même si nous désapprouvons le décret, même si nous l’avons attaqué, nous devons le respecter tant qu’il n’a pas été annulé ».
Il conclut en assurant qu’il ne retirera pas la lettre, et encore moins n’y répondra, pour ne pas tomber dans ce qu’il considère comme une opération politique dissimulée sous couvert de légalité financière.
Cet épisode intervient dans un contexte politique lourd, où le démantèlement du système partisan au Mali suscite des interrogations croissantes sur l’avenir de la démocratie et de la participation citoyenne. L’audit ordonné pourrait bien ouvrir une nouvelle brèche dans la relation déjà fragile entre l’État et les forces politiques civiles, qui, bien que dissoutes par décret, demeurent présentes dans les esprits.