L’AES acte la création de la Banque confédérale pour l’investissement et le développement


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Assimi Goïta, Abdourahamane Tiani et Ibrahim Traoré
Assimi Goïta, Abdourahamane Tiani et Ibrahim Traoré

L’Alliance des États du Sahel (AES), réunissant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, crée la Banque confédérale pour l’investissement et le développement (BCID AES) pour financer ses priorités économiques. Cette décision est une stratégie de souveraineté renforcée, avec la reprise en main des ressources minières et l’instauration d’un Prélèvement Confédéral sur les importations. Ces mesures visent à réduire la dépendance aux multinationales et à renforcer l’autonomie budgétaire de la confédération.

Une banque pour porter l’ambition économique du Sahel

La Confédération des États de l’Alliance du Sahel (AES), réunissant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, a décidé de franchir un cap historique en annonçant la création de sa propre banque régionale : la Banque confédérale pour l’investissement et le développement (BCID AES). Cette initiative vise à doter l’AES d’un outil financier stratégique pour répondre aux besoins d’investissements massifs dans des secteurs essentiels comme les infrastructures, l’énergie, le transport et l’agriculture.

Le ministre malien de l’Économie et des Finances, Alousseni Sanou, a officialisé cette décision lors d’une réunion d’experts à Bamako. Il a précisé que cette banque ne représentait pas simplement un choix politique, mais une réponse pragmatique aux défis de développement. Selon lui, la mise en œuvre réussie de ce projet dépendra d’une gouvernance rigoureuse, d’une coopération étroite entre les trois États et d’une transparence dans l’exécution des décisions.

Une volonté de souveraineté économique renforcée

Cette décision de créer une banque régionale s’inscrit dans une dynamique de reprise en main de leur destin économique par les pays de l’AES. Depuis avril 2025, ces nations ont engagé un bras de fer avec les multinationales exploitant leurs ressources minières, marquant une rupture claire avec des décennies de dépendance économique.

Face à la flambée de la demande mondiale en ressources naturelles, les États du Sahel veulent désormais tirer une part significative des revenus générés sur leur sol. Historiquement, la majorité des bénéfices échappaient aux pays producteurs, au profit d’acteurs étrangers comme Barrick Gold ou Orano, ce qui a engendré des frustrations croissantes et une volonté de changement radical.

La reconquête minière : un enjeu stratégique

La nouvelle stratégie minière de l’AES se veut offensive. Elle vise à mettre fin à l’exploitation asymétrique des ressources naturelles, comme l’a démontré le cas de la mine d’or de Loulo-Gounkoto au Mali, où la société canadienne Barrick Gold détient 80% des parts. En réponse, le gouvernement malien a ordonné la saisie des stocks d’or, provoquant la suspension des activités de la compagnie et relançant le débat sur le partage des ressources.

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Des mesures similaires ont été prises ailleurs dans la confédération. Le Niger a retiré un permis d’exploitation d’uranium à l’entreprise française Orano, et le Burkina Faso a annulé une licence accordée à l’australienne Sarama. Ces décisions traduisent la volonté de ne plus laisser les profits des ressources minières échapper aux économies locales.

Des réformes fiscales ambitieuses pour récupérer la rente minière

Pour concrétiser cette ambition, les pays de l’AES ont renforcé leur cadre législatif en matière minière. Les codes miniers révisés visent à augmenter les recettes de l’État, en imposant des taxes plus élevées et des redevances sur le chiffre d’affaires des sociétés minières. L’objectif est clair : capter jusqu’à 50% des revenus issus de l’exploitation.

Cependant, cette réforme se heurte à d’importants défis. Renégocier les contrats déjà en place avec les géants du secteur est un processus long et complexe. En parallèle, certains groupes miniers contestent ces décisions devant des juridictions internationales, accentuant la pression sur les jeunes gouvernements de la confédération.

Un nouvel outil de financement : le Prélèvement Confédéral

Le 28 mars 2025, les chefs d’État de l’AES ont instauré un « Prélèvement Confédéral » de 0,5% sur les importations en provenance de pays extérieurs à leur confédération. Cette taxe douanière est prélevée par les autorités nationales et destinée à alimenter directement le budget de l’AES pour soutenir ses projets.

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L’idée n’est pas d’augmenter le coût des biens pour les consommateurs, mais de rediriger vers la confédération des recettes jusque-là versées à la CEDEAO. Seuls certains produits, comme les aides humanitaires ou les marchandises diplomatiques, sont exemptés de cette mesure. Ce mécanisme financier renforce l’autonomie budgétaire des trois pays membres, qui cherchent à réduire leur dépendance vis-à-vis d’organisations régionales ou internationales.

Une étape vers l’autonomie financière de l’AES

Le Mali, le Niger et le Burkina Faso entendent ainsi utiliser les ressources collectées pour financer les priorités nationales : infrastructures, défense, agriculture et énergie. Toutefois, la mise en œuvre de cette taxe pourrait certes dynamiser l’économie locale en recentrant les flux financiers, mais elle pourrait aussi accentuer les tensions commerciales, notamment après le départ de l’AES de la CEDEAO.

Le Niger, par exemple, subit déjà un ralentissement économique dû aux sanctions post-coup d’État. Ces initiatives – création de la BCID AES, réforme des codes miniers, instauration du Prélèvement Confédéral – reflètent une volonté manifeste des États de l’AES de se détacher de leur statut de dépendance économique hérité de la colonisation et des décennies de domination des multinationales.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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