Coup d’État au Niger : comprendre le bras de fer entre Bazoum, putschistes et CEDEAO


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La junte nigérienne
La junte nigérienne

Le 26 Juillet dernier, le général Abdoudrahamane Tchiani a renversé le régime démocratiquement élu du Président Mohamed Bazoum. Si rien ne laissait présager cette déstabilisation – contrairement aux putschs du Mali et du Burkina Faso – les militaires auteurs du coup en donnent les raisons officielles pour le moins convaincantes.

Par Francis Adoman

La dégradation sécuritaire et la mauvaise gouvernance : le vrai de l’ivraie !

Les putschistes justifient leur coup de force par l’insécurité et la situation économique alarmante. Objectivement, sur le plan de la lutte contre le terrorisme, le Niger connaît un bon qualitatif contrairement à ses voisins malien et burkinabè. Le Niger a obtenu des résultats plus réjouissants contre les djihadistes. Le pays affiche une certaine résilience face aux mouvements terroristes, depuis la prise de pouvoir par Bazoum.

Sur le plan économique, le Niger est sur une tendance positive selon la Banque Mondiale : « La campagne agricole favorable de 2022 a tiré la croissance économique, entraînant une augmentation de 7,5% du revenu moyen par habitant. Cette hausse a fait diminuer le taux de pauvreté de 6,4 points de pourcentage entre 2021 et 2022, entraînant une réduction du nombre de pauvres. Ce taux devrait continuer à baisser pour s’établir à 45,2% en 2025 ». Avec une projection  économique d’un taux de 12,7% en 2024 et un déficit budgétaire qui devrait se réduire à 5,3%.

En réalité, au-delà des justifications avancées par les militaires peu ou prou convaincantes, avec du recul, la déstabilisation du régime de Niamey n’est pas aussi surprenante que l’on pourrait l’imaginer. Déjà le 31 mars 2021, le Président Bazoum avait été l’objet d’une tentative de déstabilisation. La situation était donc fragile. Le régime était un géant aux pieds d’argile qui pouvait s’effondrer à tout instant. À cela, il faut ajouter le ressentiment de certains hauts gradés de l’armée nigérienne dont la symbolique est le Général Tchiani, commandant en chef de la garde présidentielle censée assurer la sécurité du Président.

Il n’est un secret pour personne qu’il existait des tensions entre le Président déchu et une partie de la hiérarchie militaire au motif des mutations prévues dans la hiérarchie militaire. Méfiant vis-à-vis de certains hauts gradés, le Président Bazoum a procédé à des changements au sein du commandement militaire. Le Général Salifou Mody avait été remplacé par Abdou Sidikou à la tête de l’armée et nommé Ambassadeur du Niger aux Émirats Arabes Unis, où il ne s’est du reste jamais rendu. Le Général Tchiani était également sur le point d’être débarqué de la tête de la garde présidentielle.

Ce coup d’État est vraisemblablement un règlement de comptes entre ces généraux et le Président Bazoum, ce qui suscite l’ire de la CEDEAO.

La réaction mal ficelée de la CEDEAO qui joue sa crédibilité

Comme à l’accoutumée, sur la base de ses textes, la majorité de la CEDEAO a condamné le putsch. Elle a pris un chapelet de sanctions économiques et brandi dans la foulée la menace d’une intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel. Si la CEDEAO s’est montrée ferme avec le Niger dès le départ, c’est parce qu’elle joue, d’une certaine manière, sa survie dans sa crise. Son rapport de force avec les militaires peut redorer sa popularité ou conduire à son discrédit.

Malgré les menaces militaires, la junte nigérienne reste inflexible aux injonctions de la CEDEAO de rétablir le Président Bazoum dans ses fonctions. La posture des militaires bénéficie des précédents malien et burkinabè , même si l’option d’une intervention militaire n’avait pas été brandie dans ces cas. Pour rappel, la CEDEAO n’a récolté que de maigres résultats dans les crises malienne et burkinabè qui reposaient sur les mêmes motifs de ces auteurs que ceux du Niger. L’ordre constitutionnel n’a pas été restauré dans ces pays. La CEDEAO a fini par prendre acte en négociant une durée de transition avec ces putschistes.

Cette flexibilité de la CEDEAO a créé un précédent et sert actuellement d’expérience pour les militaires au pouvoir au Niger. Objectivement, les sanctions économiques sont inopérantes pour faire plier les juntes. Elles ont pour efficacité de faire souffrir les populations et non les putschistes. La précipitation avec laquelle la CEDEAO a brandi la menace d’une intervention militaire – qui voulait se montrer incisive – est quand même ahurissante. Elle ne pouvait évidemment pas ébranler l’ardeur des militaires qui ont reçu le soutien de leurs pairs du Mali et du Burkina Faso.

Aujourd’hui, le Niger constitue un « os dans la gorge de la CEDEAO ». L’intervention militaire à l’issue de son ultimatum a plutôt cédé la place à la diplomatie. Un revirement qui dessert la crédibilité de l’institution quoi qu’on dise!  La CEDEAO a déjà laissé des plumes dans la situation en cours au Niger. L’inconsistance, la précipitation et l’amateurisme qui fondent ces décisions « guerrières » jouent contre elle, vu qu’elle peine à les appliquer. Même si l’option d’une intervention militaire n’est toujours pas exclue, il s’agit d’une rhétorique tactique pour minimiser le discrédit auquel elle est confrontée.

L’avenir nous le dira, mais là situation du Niger constitue à coup sûr à moyen ou long terme la symbolique d’une révision structurelle de l’architecture politique de l’institution sous-régionale.

Wait and see !

Par Francis Adoman

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