Al-Sissi peut-il vraiment solutionner le conflit libyen ?


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Le Président d’Égypte, Abdel Fattah al-Sissi
Abdel Fattah al-Sissi; Président d’Égypte

Le Président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a intensifié ses efforts diplomatiques en recevant deux figures importantes du pouvoir en Libye orientale : Aguila Saleh, président du Parlement libyen basé à Tobrouk, et Khalifa Haftar, chef militaire de l’Est. Ces rencontres, organisées à Al-Alamein dans le nord-ouest de l’Égypte, visent à réaffirmer le rôle de médiateur régional du Caire dans la crise libyenne. À première vue, cette initiative semble salutaire.

L’Égypte se présente comme un acteur soucieux de la stabilité régionale, prêt à faciliter le dialogue et à contribuer à la reconstruction du pays voisin, la Libye. Mais derrière le vernis diplomatique se cache une réalité plus ambivalente. Peut-on réellement croire que le Président égyptien, dont l’implication dans le conflit libyen est tout sauf neutre, puisse être le porteur d’une solution équilibrée et durable ? Cette question mérite une analyse critique, au regard de l’histoire récente du conflit et des intérêts géostratégiques en jeu.

L’Égypte, un médiateur impartial ?

Officiellement, Le Caire affirme vouloir « préserver la souveraineté et l’intégrité territoriale » de la Libye. Al-Sissi martèle la nécessité d’un règlement politique global menant à des élections simultanées, présidentielle et législatives. Une posture noble, mais en décalage avec les choix stratégiques de l’Égypte depuis 2014. Le régime d’al-Sissi a toujours soutenu activement le camp de l’Est libyen, c’est-à-dire Khalifa Haftar et Aguila Saleh, contre le gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU.

Ce soutien s’est matérialisé par une aide militaire, diplomatique et logistique. En agissant ainsi, l’Égypte n’a pas seulement « soutenu » un camp, elle a contribué à figer la division du pays. Dès lors, comment imaginer que cette même Égypte devienne soudain le garant d’une solution inclusive, respectueuse des équilibres entre les différentes factions libyennes ?

Une initiative au service des intérêts égyptiens

Il est également utile de replacer cette initiative dans le cadre des intérêts égyptiens. La Libye représente pour l’Égypte bien plus qu’un voisin instable : elle est un enjeu stratégique. La frontière commune de 1 100 km entre les deux pays est difficilement contrôlable, et les flux d’armes, de migrants et d’éléments terroristes ont souvent déstabilisé la sécurité égyptienne, notamment dans le Sinaï. Dès lors, Al-Sissi ne défend pas seulement la stabilité libyenne par altruisme diplomatique : il agit pour contenir le chaos qui pourrait contaminer l’Égypte.

Par ailleurs, la reconstruction de la Libye, promise comme champ de coopération, est aussi un marché juteux pour les entreprises égyptiennes en mal de contrats publics à l’étranger. Ce positionnement n’est pas illégitime en soi. Mais il relativise le discours officiel sur « l’unité libyenne » ou le « rôle fraternel » de l’Égypte. Il montre qu’Al-Sissi n’est pas un arbitre au-dessus de la mêlée, mais un acteur à part entière du jeu libyen, poursuivant des objectifs avant tout nationaux.

Une paix par les urnes… ou par la force ?

L’appel du Président égyptien à l’organisation rapide d’élections en Libye sonne juste. C’est là, en principe, la seule voie possible pour sortir de la crise institutionnelle qui paralyse le pays. Mais dans les faits, les conditions ne sont pas réunies. Les deux gouvernements rivaux, celui de Dbeibeh à Tripoli et celui d’Osama Hammad à l’Est, refusent de céder le pouvoir avant les élections, qu’ils soupçonnent chacun de manipuler en leur défaveur.

Dans ce contexte, promouvoir des élections sans garanties de sécurité, sans cadre juridique clair et sans consensus national, c’est prendre le risque d’un échec ou d’une contestation violente. En cela, l’approche d’al-Sissi semble davantage répondre à une logique de communication politique qu’à un véritable projet de sortie de crise. À moins que ce discours ne cache, à terme, un appui renouvelé à une solution de force si la voie électorale devait échouer.

Quelle crédibilité aux yeux des Libyens ?

Il ne faut pas non plus sous-estimer le regard que portent les Libyens eux-mêmes sur la médiation égyptienne. Si une partie de l’Est considère l’Égypte comme un allié fiable, nombre de citoyens et de responsables dans l’Ouest voient dans le régime de Sissi un soutien cynique à Haftar, voire une ingérence voilée.

Dans un pays aussi fragmenté, une médiation crédible est attendue pour s’appuyer sur une légitimité partagée. Or, l’Égypte a du mal à apparaître comme un interlocuteur neutre. Elle n’est pas seule dans ce cas, d’autres puissances régionales, comme les Émirats, la Turquie ou la Russie, sont elles aussi perçues comme parties prenantes, mais cela souligne à quel point la paix libyenne dépend de l’équilibre délicat entre les appétits extérieurs.

Une solution libyenne avant tout

Al-Sissi peut jouer un rôle dans le conflit libyen, mais pas celui de sauveur ou d’arbitre. Sa marge de manœuvre est limitée par ses choix passés, ses alliances présentes et ses intérêts propres. À court terme, il peut faciliter certaines rencontres, encourager un dialogue entre factions de l’Est, voire préparer le terrain pour une normalisation entre l’Est et l’Ouest.

Mais la solution ne viendra ni du Caire, ni d’Ankara, ni de Moscou. Elle viendra de la capacité des Libyens eux-mêmes à dépasser leurs divisions, à reconstruire un pacte politique et à bâtir des institutions communes. En cela, toute médiation extérieure, y compris égyptienne, ne doit être qu’un levier, et non un substitut à la volonté souveraine du peuple libyen.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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