Affaire Mandakao : entre justice et règlement de comptes, le procès de Succès Masra divise le Tchad


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L'opposant tchadien Succès Masra
Succès Masra, opposant tchadien

Vingt-cinq ans de prison requis contre l’ancien Premier ministre, Succès Masra : la lourdeur de la peine demandée par le ministère public dans l’affaire du massacre de Mandakao marque un moment charnière pour la justice tchadienne. Mais au-delà des faits, ce procès met en lumière les fractures politiques et communautaires qui traversent le pays.

Le Tchad reste suspendu verdict du procès de l’opposant Succès Masra contre qui le ministère public a requis la peine de 25 ans de prison ferme.

Un dossier au parfum de règlement de comptes

Succès Masra n’est pas un prévenu ordinaire. Économiste de formation, figure de l’opposition devenue chef du gouvernement après un rapprochement inattendu avec le Président Mahamat Idriss Déby Itno, il a quitté ses fonctions en 2024 sur fond de tensions politiques. Son nom reste associé à ses critiques virulentes de la gouvernance et à ses mobilisations populaires.

Pour ses partisans, le voir sur le banc des accusés, jugé pour des faits aussi graves que l’« assassinat » ou la « diffusion de messages racistes », relève moins d’une procédure judiciaire que d’une manœuvre destinée à briser son influence. L’élément déclencheur — un message remontant à 2023, que l’accusation présente comme un appel à la haine — est jugé « hors contexte » et « politiquement instrumentalisé » par sa défense.

Le massacre de Mandakao, drame national

Les événements du 14 mai 2025, eux, sont indéniablement tragiques. Des affrontements dans cette localité du sud du Tchad ont fait de nombreuses victimes et laissé derrière eux un climat de peur. Si la version officielle insiste sur la préméditation et la nature ethnique des violences, d’autres récits parlent de tensions foncières anciennes, aggravées par des rivalités politiques locales. Le parquet considère que ces violences constituent « les prémisses d’un cas de génocide » : une accusation lourde, qui, si elle était confirmée, marquerait un précédent dans la jurisprudence tchadienne.

L’affaire se déroule dans un contexte où l’indépendance de la justice tchadienne est régulièrement mise en cause. Les ONG et observateurs internationaux rappellent que plusieurs procès politiques récents — contre des opposants ou des militants de la société civile — se sont soldés par des condamnations sévères, souvent contestées. Le risque est double : d’un côté, que la gravité du drame de Mandakao soit éclipsée par les soupçons d’instrumentalisation ; de l’autre, que la justice, en cherchant à frapper fort, alimente les accusations de partialité.

Conséquences politiques à venir

Si le tribunal suit les réquisitions et condamne Succès Masra à 25 ans de prison, sa carrière politique serait brisée à court terme. Mais une telle décision pourrait aussi raviver les tensions dans certaines régions et renforcer l’image d’un pouvoir qui neutralise ses adversaires par la voie judiciaire.

À l’inverse, un acquittement ou une peine allégée pourrait être interprété comme un signe d’ouverture, mais au prix de critiques venant de ceux qui réclament justice pour les victimes de Mandakao. En définitive, ce procès ne se joue pas seulement dans la salle d’audience : il engage l’avenir politique de l’un des leaders les plus charismatiques du pays et teste la capacité de l’appareil judiciaire tchadien à mener un procès équitable dans un contexte explosif.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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