
À l’UCAD, l’après-Tabaski s’étire entre silence et absences prolongées. Si la reprise officielle est actée, la réalité diffère : amphithéâtres clairsemés, services fermés, et étudiants encore en chemin. La fête, profondément ancrée dans la culture sénégalaise, entre en collision avec un calendrier universitaire rigide. Pour beaucoup, le retour à Dakar est une épreuve logistique et financière. Ce décalage qui pousse certains à appeler à repenser l’organisation académique pour mieux intégrer les réalités des étudiants venus de loin.
En ce milieu de journée ensoleillé, le campus de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar semble déserté. Les grandes artères habituellement animées sont vides, les résidences universitaires calmes, et les cafétérias aux rideaux baissés. Plus d’une semaine après la célébration de l’Aïd el-Kébir, connue localement sous le nom de Tabaski, l’effervescence habituelle de l’UCAD tarde à reprendre son cours.
Ce climat particulier post-fête suscite interrogations et commentaires, notamment sur la durée effective des vacances et les difficultés rencontrées par les étudiants pour regagner la capitale. Trois d’entre eux, issus de régions différentes du Sénégal, livrent à Afrik.com leur vécu et leur regard sur cette période de transition.
Des distances qui pèsent : la voix de Mansour Kébé
Mansour Kébé, étudiant au CESTI (Centre d’Études des Sciences et Techniques de l’Information), originaire de Bignona, dans la région de Ziguinchor (Casamance), partage son expérience avec franchise. « Je pense que les vacances de Tabaski, du 4 au 10 juin 2025 pour l’UCAD, étaient trop courtes, surtout pour ceux d’entre nous qui viennent de loin. Personnellement, je mets entre 8 et 9 heures de route pour rejoindre Dakar depuis Bignona. Et cela, sans compter les aléas du transport dans un pays où les infrastructures sont encore limitées ».
Il évoque également les conséquences académiques de son retard : « J’ai été temporairement exclu du CESTI pour avoir dépassé la date de reprise. Ce n’est pas par insouciance, mais à cause des réalités du terrain. On ne peut pas comparer Dakar à l’intérieur du pays, ni le Sénégal à des pays comme l’Arabie Saoudite, où tout est centralisé et accessible. Ici, tout est à Dakar, mais Dakar est loin pour beaucoup. »
Le poids de la précarité : témoignage d’Aïssatou Diallo, étudiante en droit
Originaire de Kanel, dans la région de Matam, au nord-est du pays, Aïssatou Diallo, étudiante en troisième année de droit, a elle aussi eu du mal à rejoindre Dakar à temps. « Après la fête, les gares routières sont vides, les prix des billets flambent, et il faut parfois faire plusieurs correspondances. Entre les retards et le manque de moyens, il m’a fallu deux jours entiers pour revenir ».
Elle déplore un manque de souplesse dans l’organisation universitaire : « Je comprends l’importance du calendrier académique, mais les réalités diffèrent d’un étudiant à l’autre. Ceux qui vivent à Dakar peuvent rentrer en une heure. Pour nous, c’est une véritable expédition. J’ai raté un devoir surveillé important, et cela aura forcément un impact sur ma moyenne ».
Instaurer un calendrier différencié selon les facultés
Pour Aïssatou, une meilleure planification s’impose : « L’université devrait tenir compte des disparités géographiques. Pourquoi ne pas instaurer un calendrier différencié selon les facultés ou une période tampon pour la reprise ? » Des campus à l’arrêt : le constat d’Ousmane Ndiaye, étudiant à la FLSH. Ousmane Ndiaye, étudiant en master à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (FLSH), n’a pas quitté Dakar durant la fête, mais il observe avec attention la situation sur le campus.
« Depuis le 11 juin, les cours ont repris, mais les amphithéâtres sont à moitié vides. Les professeurs eux-mêmes peinent à tenir leurs séances normalement. Le campus tourne au ralenti. Même les restaurants universitaires et certaines boutiques restent fermés ». Il relativise cependant le retard : « C’est presque devenu une habitude au Sénégal. La Tabaski est une fête importante, familiale, et émotionnelle. Beaucoup de gens mettent plusieurs jours à se remettre, surtout après avoir voyagé. On pourrait mieux s’y préparer, mais on ne peut pas aller à l’encontre des traditions ».
Une adaptation nécessaire du calendrier universitaire ?
L’uniformité du calendrier académique ne prend pas en compte les réalités géographiques, économiques et sociales des étudiants sénégalais. Dans un pays où les infrastructures routières sont encore inégalement réparties, et où la centralisation des services à Dakar contraint des milliers d’étudiants à de longs déplacements, la question de l’après-Tabaski mérite d’être revisitée.
D’autant plus que, selon les observations, l’absentéisme post-fête semble récurrent, impactant le déroulement normal des enseignements. Des propositions circulent timidement parmi les syndicats étudiants : instauration d’une période de « reprise progressive », élaboration de calendriers modulables, ou encore mise en place de mesures de tolérance administrative pour les retours tardifs justifiés.