Sénégal : quand l’État fait plier l’ONU sur les droits LGBTQ+


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Un couple homosexuel
Couple homosexuel

Le vendredi 12 juillet 2025 restera dans les annales diplomatiques comme celle où l’Organisation des Nations Unies a cédé face aux pressions du gouvernement sénégalais. Un événement sur les droits LGBTQ+ prévu à Dakar a été brutalement annulé après des menaces explicites de sanctions contre organisateurs et participants. Chronique d’un bras de fer où les droits humains ont perdu.

Tout commence par un tweet incendiaire. Le député Guy Marius Sagna donne l’alerte : une réunion « discrète » sur les droits des personnes LGBTQI+ est programmée ce vendredi 11 juillet dans les locaux du Haut-Commissariat des Nations Unies à Dakar. L’information enflamme instantanément les réseaux sociaux sénégalais.

« Les Pays-Bas sont libres de promouvoir les LGBTQ chez eux. Ici, ce n’est pas possible« , tranche le parlementaire dans un message qui devient viral en quelques heures. L’élu dénonce ce qu’il qualifie de « tentative d’imposition de valeurs étrangères » sur le sol sénégalais. Le ton est donné : le gouvernement ne laissera pas passer.

L’événement qui dérange

L’événement en question devait consister en une projection de film organisée conjointement par l’ONU et l’ambassade des Pays-Bas, suivie de « discussions sur les questions LGBTI« . Une manifestation apparemment modeste, mais qui touche le nerf de la guerre dans un pays où l’homosexualité est passible d’un à cinq ans de prison.

Parmi les organisateurs figure Egides (Alliance internationale francophone pour l’égalité et les diversités), une organisation qui fédère plus de 200 structures dans 33 pays francophones. Présente au Sénégal, Egides mène ses activités de manière particulièrement discrète, consciente de la sensibilité du sujet. Le projet au cœur de la polémique s’intitule « Miwa » (« Nous sommes là » en langue locale), financé par Affaires mondiales Canada. Officiellement, ce programme vise à « favoriser la réalisation des droits humains des femmes« , mais ses ramifications LGBTQ+ ne passent pas inaperçues des autorités sénégalaises.

La réaction des autorités est immédiate. Dans un communiqué publié vendredi sur X, le ministère des Affaires étrangères sénégalais hausse le ton : « Le Sénégal n’accepte aucune forme de propagande ou de promotion du phénomène LGBTQI sur son territoire. » Surtout, le gouvernement menace de « prendre toute mesure appropriée contre tout organisateur de telles activités, et même contre les participants, quelles que soient leurs origines, leur statut ou leur rang« . Cette escalade marque un durcissement sans précédent face aux organisations internationales, y compris l’ONU.

L’avertissement s’accompagne d’un rappel ferme : les missions diplomatiques et ONG doivent se conformer aux règlements en vigueur. Une manière polie de dire que même le statut diplomatique ne protégera pas contre les sanctions promises.

La capitulation internationale

Face à cette pression, l’ONU et les Pays-Bas annulent immédiatement l’événement, préférant éviter l’affrontement direct avec Dakar. Seif Magango, porte-parole du bureau des droits de l’homme de l’ONU, confirme à Reuters que l’événement « a été annulé, et nous continuons à dialoguer avec les autorités« . Une formule diplomatique qui masque mal une reculade en rase campagne.

Du côté néerlandais, le ministère des Affaires étrangères publie une déclaration pour le moins embarrassée. Tout en réaffirmant que les Pays-Bas « défendent les droits humains et l’égalité de traitement« , la diplomatie néerlandaise indique avoir décidé d’annuler l’événement « en considérant divers facteurs« . Une pirouette rhétorique qui ne trompe personne.

Cette victoire du gouvernement sénégalais s’appuie sur une mobilisation de la société civile conservatrice particulièrement efficace. L’islamologue influent Ahmadou Makhtar Kanté monte rapidement au créneau : « Il est plus que temps que les autorités prennent leurs responsabilités face à ce que je considère comme une offensive stratégique. » Pour ce dernier, l’enjeu dépasse le simple cadre national : « Dans les chancelleries occidentales, comme celles des Pays-Bas ou du Canada, ces lobbies bénéficient de soutiens financiers, logistiques et diplomatiques massifs. Ce sont des relais puissants qui financent des programmes locaux à travers des ONG. »

Cette grille de lecture, qui présente les droits LGBTQ+ comme un cheval de Troie occidental, trouve un écho favorable dans une société sénégalaise majoritairement musulmane et conservatrice.

Un contexte répressif croissant

Cette polémique s’inscrit dans un contexte d’hostilité croissante envers les personnes LGBTQ+ au Sénégal. Depuis une quinzaine d’années, les témoignages de violence et de discrimination se multiplient. L’article 319 du Code pénal, héritage colonial de 1966, punit « d’un emprisonnement d’un à cinq ans » les « actes contre nature avec un individu de son sexe« .

Mais au-delà du cadre légal, c’est toute la société qui semble se radicaliser. Les arrestations se multiplient, les agressions violentes se banalisent, filmées et diffusées sur les réseaux sociaux comme des trophées. Les organisations qui tentaient de défendre discrètement ces populations ont progressivement cessé leurs activités, contraintes par les menaces et le départ de leurs militants.

En 2021, le Sénégal a été retiré de la liste des pays d’origine sûrs par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), en raison des risques liés à l’orientation sexuelle. Un signal d’alarme que peu ont voulu entendre à Dakar.

Les conséquences

Cette crise révèle les limites de l’action internationale face à un État déterminé à faire respecter ses « valeurs traditionnelles« . L’annulation de l’événement constitue un précédent inquiétant : pour la première fois, l’ONU recule publiquement face aux menaces d’un gouvernement sur les questions LGBTQ+.

Par ailleurs, derrière cette polémique diplomatique se cachent les véritables victimes : les personnes LGBTQ+ sénégalaises, contraintes au silence et à la clandestinité. Souleymane Diouf, leader du collectif FREE qui aide les détenus LGBTQ+, tire un constat amer : « Silence est une stratégie qui n’a jamais payé au Sénégal, tandis que la violence contre les personnes LGBT+ n’a cessé de s’intensifier. »

Pour les personnes LGBTQ+ du Sénégal, l’espoir d’une évolution positive s’éloigne un peu plus. Elles devront continuer à vivre dans l’ombre, en attendant des jours meilleurs qui tardent à venir. Car quand l’État et la société s’allient contre une minorité, l’international ne fait plus le poids. Une leçon amère que Dakar vient d’administrer au monde entier.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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