Sénégal, Dakar sous les nuages : l’angoisse renaît à Keur Massar avec les premières pluies


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Inondations
Inondations (illustration)

Les premières averses de la saison ont frappé fort, aujourd’hui, la banlieue dakaroise, ravivant dans les esprits les douloureux souvenirs des inondations passées. À Keur Massar, devenu département en 2021, la pluie ne rime plus avec espoir de fraîcheur ou de fertilité : elle symbolise l’angoisse d’un nouveau cauchemar.

Ce vendredi matin, au Sénégal, alors que les nuages sombres s’amoncelaient, une pluie torrentielle s’est abattue sur la commune de Keur Massar, à 20 km du centre de Dakar, transformant les rues sablonneuses en rivières boueuses. En quelques heures, les ruelles débordaient, les habitations commençaient à prendre l’eau et les habitants, eux, retenaient leur souffle.

Des quartiers transformés en marécages

Dans le quartier de Tivaouane Peulh-Niague, Mame Diarra Sarr, 42 ans, regarde impuissante la cour de sa maison se remplir d’eau. « Chaque année, c’est le même scénario. L’eau monte, on déménage les enfants, on dort debout. Et pourtant, on paye nos taxes comme tout le monde ».  Elle se souvient de la catastrophe de 2022, où elle avait dû abandonner son domicile pendant deux mois.

« On nous avait promis des bassins de rétention, des pompes… mais à chaque pluie, on comprend que rien n’a été fait réellement ». Pape Cheikh Ndiaye, 27 ans, technicien en téléphonie, vit à Keur Massar Extension. Il fait partie d’un collectif citoyen de surveillance des inondations. « On ne peut plus rester les bras croisés. Dès les premières gouttes, on sort les pelles, on nettoie les canaux. Mais on ne peut pas faire le travail des autorités à leur place ».

Les promesses non tenues plombent la confiance

Il évoque un sentiment d’abandon partagé par les jeunes du quartier. « On est à 30 minutes de Dakar, mais on dirait un autre monde. On parle de Keur Massar uniquement quand ça déborde ». Fatoumata Kane, commerçante au marché central de Keur Massar, est en colère. « L’État a parlé de Plan décennal de lutte contre les inondations, mais ici, c’est toujours la même pagaille. » Elle montre les rues envahies d’eau stagnante, de potentiels nids à moustiques.

« Comment vendre dans ces conditions ? On perd tout ». Elle s’inquiète aussi pour la santé de ses enfants. « Chaque saison des pluies, c’est la même chose : diarrhée, paludisme, infections de la peau… C’est notre quotidien ». Keur Massar est l’un des pôles urbains les plus dynamiques de la banlieue dakaroise. Sa population a explosé ces dernières années, souvent sans planification adéquate. Pour Abdoulaye Diallo, un enseignant de 55 ans installé depuis 2008, c’est le cœur du problème. « Les constructions poussent partout, mais rien n’est prévu pour l’assainissement ».

L’espoir suspendu à la fin des travaux

Il ajoute : « Quand j’ai construit ici, on m’a promis un réseau d’évacuation. Dix-sept ans après, je continue de creuser des rigoles moi-même ». Certains habitants gardent malgré tout l’espoir. Awa Gaye, étudiante en sociologie, se veut optimiste. « On parle de projets en cours, comme le renforcement du réseau de drainage et la finalisation du bassin de Keur Massar. Espérons que ça avance ». Mais même elle reconnaît qu’il est difficile de garder confiance. « À chaque saison, on entend les mêmes discours. Il faut qu’on voie du concret ».

Pour faire face, les habitants s’organisent. À Keur Massar Nord, Mamadou Sène, 61 ans, a contribué à créer une mutuelle locale pour aider les familles touchées par les inondations. « On met chacun une petite contribution. Quand une maison est inondée, on aide à reloger ou à acheter des produits de désinfection ». Mais il sait que ce n’est qu’un pansement. « On peut se débrouiller entre nous, mais le problème est structurel. Tant qu’on n’aura pas de véritables systèmes de drainage, l’eau gagnera toujours ».

Une saison qui ne fait que commencer

Au-delà des revendications techniques, les habitants réclament surtout de la dignité. « On ne demande pas l’impossible », dit Pape Cheikh Ndiaye. « Juste de vivre chez nous en sécurité, sans craindre chaque goutte de pluie ». Mame Diarra Sarr conclut avec amertume : « Keur Massar, c’est le Sénégal de demain. Si on ne résout pas ses problèmes aujourd’hui, alors demain, tout le pays en paiera le prix ».

Alors que les bulletins météo annoncent encore de fortes précipitations dans les jours à venir, les habitants de Keur Massar retiennent leur souffle. Beaucoup ont déjà déplacé leurs meubles, surélevé leurs matelas, vidé les caniveaux à la main. Dans cette commune en pleine croissance mais laissée à la marge, les premières gouttes ne sont plus une bénédiction. Elles sont le signal d’un combat qui recommence. Un combat inégal, contre l’eau, mais surtout contre l’indifférence.

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