
Au Sénégal, l’Achoura reste un moment fort de solidarité et de partage, malgré un contexte économique tendu. Inflation, baisse du pouvoir d’achat, hausse des prix : cette année, la fête du couscous se célèbre dans la sobriété. Pourtant, dans les villages comme dans les villes, les familles s’organisent pour préserver l’essentiel : un repas simple, souvent partagé avec les voisins ou les plus démunis. Une fête qui se vit entre traditions culinaires, entraide et résilience.
Chaque année au Sénégal, l’Achoura, ou Tamkharit, marque un moment fort de la vie religieuse et communautaire. Le couscous de mil y tient une place centrale : il est préparé en grande quantité pour être offert à la famille, aux voisins, aux plus démunis. Mais cette année, dans un contexte économique difficile, de nombreuses familles doivent revoir leurs ambitions à la baisse. La fête du couscous est prévue le samedi 5 juillet, mais d’ores et déjà, plusieurs familles sont dans l’angoisse dans un contexte financier difficile.
Inflation, baisse du pouvoir d’achat, précarité accrue… Même si le prix du mil est resté stable, les autres ingrédients et charges de préparation (huile, condiments, transport) pèsent lourdement. Pourtant, l’esprit de la fête persiste, animé par la solidarité et la résilience.
« On fait moins, mais on partage quand même »
Dans la région de Kaffrine, Mamadou cultive le mil depuis plus de 20 ans. Cette année, sa récolte a été moyenne : « Le prix du mil ne bouge pas beaucoup, heureusement. Mais la météo a été capricieuse, et j’ai récolté moins que prévu ». Malgré tout, il tient à préserver l’essentiel : « J’ai mis de côté quelques sacs pour la famille et pour donner un peu à ceux qui n’ont rien. Même un plat simple de couscous avec du sucre ou du lait, ça garde toute sa valeur symbolique ».
Dans son quartier à Kaolack (centre du Sénégal), l’imam Serigne Ndiaye prépare chaque année une grande distribution de couscous. Mais cette fois, les contributions sont plus faibles : « Les gens veulent donner, mais ils n’en ont plus les moyens. On n’a pas abandonné, on a juste adapté ». Avec l’aide des jeunes du quartier, il organise une collecte en nature : mil, sucre, un peu d’huile… Chaque don est mis en commun pour permettre à un maximum de familles de célébrer dans la dignité.
« On mise sur la convivialité, pas l’abondance »
À Dakar, Fatou coordonne une initiative de repas partagés dans un centre de quartier. Elle explique : « On ne peut pas cuisiner pour tout le monde comme avant. Alors on invite les familles à venir cuisiner ensemble, avec les moyens de chacun ». Son objectif : transmettre l’esprit de l’Achoura aux plus jeunes : « Le couscous, c’est une tradition, mais aussi une école de la solidarité ».
Dans sa boutique de Saint-Louis, Cheikh vend tout ce qu’il faut pour accompagner le couscous : piment, oignons, huile, sucre. Il témoigne : « Le mil, ça va, son prix n’a pas bougé. Mais l’huile, les épices, tout a augmenté. Ce sont ces produits-là qui rendent la préparation plus difficile ». Pour soulager ses clients, il a mis en place des petits « kits Achoura » à prix réduit, en partenariat avec une ONG locale : « Ce n’est pas grand-chose, mais ça aide beaucoup de familles ».
« Pas de viande cette année »
À Rufisque, Khady se prépare avec les moyens du bord : « J’ai juste de quoi faire du couscous avec du poisson. Pas de viande cette année, mais l’important, c’est de manger ensemble ». Elle a invité sa voisine et ses enfants à partager le repas. « L’Achoura, c’est la fraternité. Même avec peu, on peut célébrer », lance-t-elle.
Responsable d’un programme de sécurité alimentaire, Lamine se félicite de la stabilité actuelle du prix du mil : « Le mil est une denrée clé pour des fêtes comme l’Achoura. Sa stabilité est un atout, mais il faut rester vigilant ». Il ajoute : « Il faut soutenir les producteurs, encourager la transformation locale, et protéger cette céréale face à l’urbanisation et aux importations ». Partout dans le pays, la tendance est à la sobriété. Exit les plats très garnis ou les grandes tablées coûteuses. On partage des quantités modestes, on réduit les accompagnements, on privilégie la simplicité.
Une fête sobre mais solidaire
Mais cette sobriété n’empêche pas la chaleur humaine, au contraire. Malgré une situation économique compliquée, le Sénégal n’a pas renoncé à célébrer l’Achoura. Ce sont parfois de petits plats, parfois des recettes simplifiées, mais l’essentiel est là : le partage, la foi, et la solidarité. Comme le dit Mamadou, le producteur : « Même un bol de couscous, quand il est partagé avec sincérité, vaut plus qu’un plat rempli sans chaleur ».