Référendum en Guinée : les électeurs appelés à trancher sur une nouvelle Constitution


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Mamady Doumbouya à la Tribune de l'ONU
Mamady Doumbouya à la Tribune de l'ONU

Ce dimanche, plus de 6,5 millions de Guinéens sont invités à se rendre aux urnes pour se prononcer sur le projet d’une nouvelle Constitution, censée marquer la fin de la transition politique ouverte par le coup d’État militaire du 5 septembre 2021.

Trois ans après avoir renversé Alpha Condé, le colonel Mamadi Doumbouya joue une partie décisive de sa légitimité politique. Lui qui est soupçonné de tout mettre en œuvre pour se maintenir au pouvoir.

Une Constitution pour tourner la page de la transition

Le texte soumis au référendum compte 199 articles et ambitionne de remplacer la charte de transition encore en vigueur. Ses promoteurs y voient un instrument de réconciliation nationale et un socle pour organiser, d’ici fin 2025 ou début 2026, des élections présidentielles, législatives et communales.

La future Constitution introduit plusieurs innovations sociales et institutionnelles : couverture santé universelle, gratuité de l’éducation jusqu’au secondaire, mécanismes renforcés de lutte contre la corruption et décentralisation accrue pour apaiser les tensions ethniques et régionales.

Sur le plan institutionnel, le régime reste présidentiel mais deux nouvelles instances sont prévues :

  • un Sénat, élu pour six ans mais dont un tiers des membres serait nommé par le président de la République ;
  • une Cour spéciale de justice de la République, compétente pour juger le chef de l’État et les ministres en cas de haute trahison ou de crimes commis pendant leur mandat.

Le mandat présidentiel passerait à sept ans, renouvelable une fois. Le texte accorde aussi la possibilité aux candidats indépendants de concourir à l’élection présidentielle et impose un quota de 30 % de postes réservés aux femmes dans les fonctions électives et administratives. Enfin, un article controversé garantit l’immunité civile et pénale aux anciens Présidents pour les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions.

Opposition et société civile divisées

Si les autorités mettent en avant une Constitution « moderne » et « inclusive », de nombreux poids lourds de l’opposition dénoncent un texte « taillé sur mesure » pour Mamadi Doumbouya, qui pourrait ainsi briguer la magistrature suprême. Ils appellent au boycott du scrutin, considérant que le colonel-president cherche à prolonger son maintien au pouvoir sous couvert d’un retour à l’ordre constitutionnel.

Dans ce contexte, le taux de participation constituera l’indicateur central du jour. Un fort abstentionnisme serait interprété comme un revers pour les autorités, tandis qu’une mobilisation massive renforcerait la légitimité du processus. La crainte d’un scénario violent, comme en 2020 lors du référendum controversé d’Alpha Condé, reste présente. Les autorités assurent avoir pris toutes les précautions : 45 000 membres des forces de sécurité, appuyés par des drones, ont été déployés pour encadrer les 23 600 bureaux de vote. Parallèlement, 6 000 observateurs de la société civile seront chargés de rapporter tout incident ou irrégularité.

Des médias mobilisés mais sous pression

Pour informer les citoyens, l’Union des radios et télévisions libres de Guinée (URTELGUI) a mis en place une « synergie » médiatique réunissant 85 radios et une vingtaine de chaînes de télévision publiques et privées. Plus de 200 journalistes couvriront le scrutin à travers le pays. « Nous ne sommes inféodés à aucun camp. Notre mission est de rapporter en toute transparence ce qui fonctionne et ce qui pose problème », assure Aboubacar Camara, président de l’URTELGUI.

Mais ce dispositif est mis en place dans une atmosphère caractérisée par une forte tension autour de la liberté de la presse. Six médias ont été fermés l’an dernier pour « non-respect du cahier des charges », et plusieurs journalistes disent avoir subi pressions et menaces. « La synergie d’information est une bonne chose, mais comment exercer librement quand des voix indépendantes sont muselées ? », s’inquiète Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du syndicat des professionnels de la presse.

Un scrutin à haute valeur symbolique

Au-delà des articles et des débats juridiques, le référendum de ce 21 septembre porte une valeur symbolique : il doit marquer une étape clé dans la fin de la transition militaire en Guinée et son retour dans le concert des nations démocratiques à la suite des prochaines joutes électorales. Les organisations régionales comme la CEDEAO ou l’Union africaine attendent des gages concrets avant de lever les dernières sanctions et de normaliser les relations avec Conakry.

Reste une question : les Guinéens saisiront-ils cette opportunité de tourner la page des coups d’État et des crises politiques répétées, ou exprimeront-ils leur défiance envers un projet jugé partisan ? La réponse se trouve désormais dans les urnes.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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