RDC : Tshisekedi rentre à Kinshasa après la signature des accords de Washington, entre ferveur populaire et débats politiques


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Paul Kagamé et Félix Tshisekedi
Paul Kagamé et Félix Tshisekedi

Le Président de la RDC, Félix Tshisekedi, a regagné Kinshasa ce vendredi, au lendemain de la signature, à Washington, d’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda. L’événement, présidé par le chef de l’État américain Donald Trump et en présence de nombreux dirigeants africains, marque une étape majeure dans les efforts internationaux visant à mettre fin à plus de trois décennies de violences dans l’Est congolais.

Au lendemain de sa signature, l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda continue de susciter des réactions de part et d’autre. A Kinshasa, les positions sont partagées entre approbation et critiques.

Une mobilisation populaire orchestrée par l’Union sacrée

À l’aéroport international de N’Djili, une foule impressionnante a accueilli le Président Tshisekedi. Des vidéos abondamment relayées sur les réseaux sociaux témoignent de l’ampleur de la mobilisation. Du boulevard Lumumba jusqu’au centre-ville, les Kinois, drapeaux en main, ont escorté le cortège présidentiel, répondant à l’appel de l’Union sacrée de la Nation (USN).

Jeudi, à peine l’accord signé, André Mbata, secrétaire permanent de l’USN, appelait les partis politiques, associations et personnalités de la coalition au pouvoir à réserver un « accueil triomphal » au « Père de la Nation ». Pour l’USN, la signature de Washington constitue « un accord historique visant à mettre fin à 30 ans de guerre d’agression ».

Un accord présenté comme un « miracle diplomatique »

L’accord paraphé le 4 décembre par Félix Tshisekedi et Paul Kagame complète et entérine les engagements pris lors d’un précédent accord conclu à Washington le 27 juin 2025. Il se compose de deux instruments : l’Accord de paix RDC–Rwanda, fixant des engagements sécuritaires, et le Cadre d’intégration économique régionale, destiné à dynamiser l’intégration régionale et les investissements.

Selon Washington, cet ensemble constitue un « document historique » destiné à créer une « paix durable » et une croissance économique « sans précédent ». Donald Trump, médiateur principal, s’est félicité d’un « miracle diplomatique » : « C’est quelque chose que beaucoup jugeaient impossible, mais je pense que ce sera un véritable miracle », a-t-il déclaré, assurant que les effets seraient « rapides ».

La cérémonie s’est déroulée en présence de nombreuses personnalités africaines : Faure Gnassingbé (Togo), João Lourenço (Angola), William Ruto (Kenya), Évariste Ndayishimiye (Burundi), Jessica Alupo (Ouganda), ainsi que des représentants du Qatar, des Émirats arabes unis et de l’Union africaine.

Des engagements sécuritaires précis mais un terrain encore instable

Selon Thérèse Kayikwamba Wagner, ministre congolaise des Affaires étrangères, l’accord clarifie pour la première fois les responsabilités respectives :

  • retrait des troupes rwandaises,
  • neutralisation simultanée des FDLR,
  • mise en place d’un cadre de suivi international.

Elle insiste toutefois : « Le processus sera graduel, sérieux et rigoureux. Nous sommes conscients des grandes attentes des Congolais ».

La diplomatie congolaise reconnaît cependant que sur le terrain, aucune amélioration immédiate n’est constatée : les lignes de front demeurent actives et aucune mesure de confiance n’a encore vu le jour.

Des réactions politiques contrastées en RDC

La classe politique congolaise a diversement accueilli. Dans l’opposition, le ton est largement critique. Martin Fayulu dénonce ce qu’il qualifie de « désaccord de Washington », estimant que le processus ne répond pas aux attentes nationales. Prince Epenge, cadre de Lamuka, regrette l’absence de mécanismes contraignants, affirmant que « la partie qui ne respecterait pas l’accord n’a rien à craindre ». Christian Mwando, proche de Moïse Katumbi, plaide pour un dialogue national inclusif afin de compléter l’accord et de renforcer sa légitimité.

Du côté du camp Kabila, la réaction est plus nuancée. L’ancienne ministre Marie-Ange Mushebekwa salue un acte « courageux », tout en soulignant que la réussite dépendra de la « sincérité » de toutes les parties signataires. À l’inverse, Ferdinand Kambere (PPRD) minimise la portée du texte, qu’il qualifie de « distraction », rappelant l’existence de « mécanismes de paix déjà disponibles » selon lui plus adaptés.

Au sein de l’Union sacrée, l’enthousiasme est unanime. Les cadres de la majorité présidentielle soutiennent fermement l’accord. Vital Kamerhe y voit un « tournant décisif » pour la stabilisation du pays, tandis qu’Aimé Boji, président de l’Assemblée nationale, salue une démarche « salutaire » pour la paix et la sécurité.

La MONUSCO et la Belgique saluent l’accord

Dans un communiqué, la MONUSCO applaudit la signature qui, selon elle, ouvre « une nouvelle fenêtre d’opportunité » pour une paix durable et la libération du potentiel économique de la région. Mais elle pose des conditions claires :

  • application de bonne foi,
  • respect strict de la souveraineté de la RDC,
  • protection des civils,
  • poursuite des efforts de désarmement et démobilisation.

La mission rappelle que la résolution 2773 (2025) du Conseil de sécurité encadre désormais ces engagements, parallèlement au processus de Doha.

Du côté de la Belgique, le Premier ministre belge, Maxime Prévot, a félicité Kinshasa et Kigali, tout en exhortant à la cessation immédiate des hostilités. Toutefois, il met en garde : « Il est temps d’agir : désescalade immédiate, accès humanitaire sans entrave et plein respect des engagements pris ». Bruxelles réaffirme son soutien à la mise en œuvre des accords, tant à Washington qu’à Doha.

Au total, il est évident que le succès de l’accord dépendra moins des signatures apposées à Washington que de sa mise en œuvre sur le terrain, là où les combats continuent de dicter leur loi.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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