RDC, procès Mutamba et Kabila : l’analyse de l’avocat Martin Milolo


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Martin Milolo, avocat au barreau de Kinshasa/Matete
Martin Milolo, avocat au barreau de Kinshasa/Matete

L’actualité ces dernières semaines en RDC est agitée par deux procès inhabituels : celui du ministre de la Justice, Constant Mutamba, accusé de tentative de détournement de deniers publics, et de l’ancien Président, Joseph Kabila. Sur la tête de ce dernier pèsent les accusations de trahison, crimes de guerre et complicité avec la rébellion du M23/AFC. Alors que les deux procès tendent vers la fin – le verdict dans l’affaire Mutamba est attendu ce 27 août –, nous recueillons l’avis d’un Congolais, praticien du droit. Martin Milolo, avocat au barreau de Matete, nous livre son analyse de ces deux procédures judiciaires en cours dans son pays.

Afrik.com : Deux procès retentissants se déroulent actuellement dans votre pays, la RDC. Il s’agit du procès de l’ancien ministre de la Justice, Constant Mutamba, et celui de l’ancien Président, Joseph Kabila. Comment en est-on venu là, à enclencher une procédure contre un ministre de la Justice en fonction ?

Martin Milolo: Le ministre de la Justice s’est tiré une balle dans le pied en violant la procédure de passation des marchés publics sur le projet de construction d’une prison à Kisangani, ce qui constitue une tentative de détournement des fonds publics destinés à la réparation des victimes de la guerre de l’Ouganda en RDC. Le ministre Mutamba s’était présenté dès sa prise de fonction comme un réformateur, mieux, un révolutionnaire de la justice congolaise jugée malade par le président de la République. Dans sa posture de réformateur de la justice, il a eu un bras de fer avec les magistrats à tous les échelons, qu’il accusait à tort ou à raison d’être à la base du dysfonctionnement de la justice. Le dernier duel en date résulte d’une enquête qu’il avait initiée contre le procureur général près la Cour de cassation sur l’acquisition par ce dernier d’un immeuble en Belgique dont la valeur dépasse visiblement son salaire, laissant supposer un blanchiment d’argent.

Il faut aussi noter que Mutamba a eu des démêlés avec certains membres de la classe politique congolaise dont Joseph Kabila qu’il a accusé d’être le soutien du M23 et collaborateur du Rwanda dans son agression contre la RDC. Au sein de la majorité au pouvoir, il se présentait comme un trouble-fête avec ses accusations sur les détournements dont il « sentait l’odeur ». En outre, sa réforme contre la multiplication des églises et des ONG rendant obligatoire l’identification des pasteurs avec l’octroi de cartes et la suspension des autorisations provisoires de fonctionnement pour les ONG constituent un cocktail mortel qui a conduit l’ancien jeune ministre et candidat Président à ses déboires judiciaires.

Y aurait-il en toile de fond des problèmes de règlement de comptes politiques, au regard des tensions qu’il y a eu entre les magistrats et le ministre de la Justice et que vous venez de rappeler ?

Martin Milolo: Bien sûr que oui ! Même si les magistrats ne l’admettent pas, ils avaient une dent contre lui et cela menace le respect de l’éthique que recommande le principe de procès équitable. Plusieurs exceptions soulevées par les avocats conseils de Mutamba ont été rejetées et certains témoins cités à décharge par l’ancien garde des Sceaux, dont la Première ministre, n’ont pas comparu, et la Cour de cassation est passée outre pour poursuivre l’instruction jusqu’à la mise en délibéré de l’affaire. Ce sont des signes révélateurs de quelque chose en défaveur de Constant Mutamba.

Il y a quelques semaines, l’ASADHO a dénoncé un procès déséquilibré en mettant l’accent sur le risque réel d’une condamnation sans preuve. Pensez-vous que jusque-là, tout s’est déroulé dans les règles de l’art dans ce procès ?

Martin Milolo: Sur le plan de la forme oui, mais dans le fond, comme je viens de le laisser entendre, il y a des questions à se poser sur l’impartialité des juges. Il sied de rappeler que le droit pénal moderne est favorable au prévenu ; le fait de passer outre la comparution de certains témoins cités par le prévenu Constant Mutamba peut faire penser à la violation du droit de la défense ; l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par le prévenu à travers ses avocats n’a pas été retenue par le juge alors qu’il s’agit d’une exception d’ordre public. Tout ceci mis ensemble, donne une image d’un certain déséquilibre.

Quelle issue voyez-vous pour ce procès dont le verdict est attendu ce 27 août ?

Martin Milolo: Constant Mutamba sera certainement condamné pour tentative de détournement à cause de la violation de la loi sur les marchés publics dans le projet de construction de la prison à Kisangani et l’ouverture d’un compte non séquestre au nom du prestataire Zion Construction dans lequel il a donné l’ordre de versement de 19 millions de dollars du ministère de la Justice.

Parlons à présent du cas du Président Joseph Kabila. Dans une interview que vous nous aviez accordée en avril, vous aviez soulevé la difficulté politique qu’il y avait à juger l’ancien dirigeant qui demeure un poids lourd de la politique congolaise, tout en insistant sur le fait qu’au point de vue juridique, « il peut être poursuivi en justice conformément à la Constitution et la Loi sur les anciens chefs d’État élus pour les infractions non couvertes par ses immunités ». À l’arrivée, on constate le procès a été bel et bien ouvert et les réquisitions ont même déjà été faites, des réquisitions très sévères d’ailleurs. Un ancien Président jugé en RDC. C’est une première. Peut-on dire que le régime de Félix Tshisekedi a osé ?

Martin Milolo: Avant tout, il faut souligner qu’en RDC le droit est régulièrement sacrifié sur l’autel de la politique ; et la politique étant dynamique, tout est possible. Oui, le régime Tshisekedi a osé pour tenter de reprendre la main dans le rebondissement du duel qui oppose le Président et son prédécesseur depuis fin 2020. Même si le Rwanda se présente comme le vrai maître de la conquête et de l’occupation des territoires dans les deux provinces du Kivu à l’est de la RDC, le Président Tshisekedi a toujours soutenu que la montée en puissance du M23 et son alliance avec l’AFC de Corneille Naanga sont l’œuvre de Joseph Kabila. Mais quoi qu’il en soit, Joseph Kabila demeure un acteur majeur dans la scène politique congolaise et le procès contre lui a des conséquences sur le plan politique et la cohésion nationale qui est d’ailleurs recherchée par les initiatives de paix au niveau interne qui prônent le dialogue national.

Donc vous voyez des conséquences politiques à une condamnation de Joseph Kabila…

Martin Milolo: Certainement. La majorité actuelle autour du président de la République est constituée essentiellement des anciens kabilistes. Personne ne peut prédire ce qu’ils pensent en voyant leur ancien leader être traîné dans la boue. Le conflit communautaire entre Kasaïens (région du président de la République) et Katangais (région d’où est issu l’ancien président de la République) pourrait, on ne le souhaite pas, ressurgir avec un risque de guerre civile. Nous espérons que les uns et les autres en ont conscience.

S’il était condamné, pensez-vous que la justice congolaise soit en mesure d’appliquer les peines qui auraient été retenues contre lui ?

Martin Milolo: Pas totalement, car il s’agit d’un ancien président de la République qui garde encore des liens avec les Présidents d’autres pays africains et des anciens Présidents. Je ne vois pas tout ce monde fermer les yeux pendant que Joseph Kabila est emprisonné. Il peut y avoir à la rigueur les saisies de ses biens que l’ancien ministre Constant Mutamba évoquait déjà. Mais tout cela n’est pas aussi facile qu’on peut le croire, car il s’agit de celui qui a transféré le pouvoir pacifiquement en 2019. Je pense que tous ces éléments entrent en ligne de compte dans le processus de prise de décisions des juges militaires qui sont appelés à trancher dans cette affaire.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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