
La démission de Vital Kamerhe de la présidence de l’Assemblée nationale congolaise, annoncée le 22 septembre, a provoqué une onde de choc au sein de la majorité présidentielle congolaise. Pourtant, du côté de Félix Tshisekedi, aucune dramatisation : depuis New York, le chef de l’État a choisi les mots de la distance institutionnelle et de la totale sincérité.
« Je continue à le (Vital Kamerhe, ndlr) considérer comme un allié, comme un frère », a martelé Félix Tshisekedi depuis New York où il prend part à l’Assemblée générale de l’ONU. La formule, teintée de chaleur, tranche avec la froideur des manœuvres parlementaires qui ont précipité la chute de Kamerhe. Mais derrière cette fraternité affichée, se joue une partie autrement plus complexe : celle du calcul politique.
Un allié à l’histoire mouvementée
Vital Kamerhe n’est pas un novice en turbulences politiques. En 2020, il avait été condamné à vingt ans de prison dans une affaire de détournement de fonds liés au programme des 100 jours. Même si sa peine avait été réduite en appel puis effacée par une grâce présidentielle, cette page judiciaire l’avait durablement marqué. Beaucoup le pensaient fini politiquement ; Tshisekedi, lui, avait choisi de le réhabiliter en l’adossant à la machine de l’Union sacrée. Cinq ans plus tard, la même mécanique semble se répéter : un Kamerhe affaibli, lâché par ses pairs, mais défendu du bout des lèvres par un Président qui refuse de « s’immiscer » dans la « cuisine interne » de l’Assemblée nationale.
Vital Kamerhe paie-t-il le prix de certaines de ses prises de positions au Parlement ? On se souvient qu’en octobre 2024, quelques semaines seulement après son retour au perchoir de la chambre basse du Parlement, l’ancien directeur de cabinet de Félix Tshisekedi avait porté la voix de ses collègues députés alors remontés contre l’éternel renouvellement de l’état de siège au Nord et au Sud-Kivu. Plus récemment, le président de la chambre basse du Parlement n’a pas hésité à relever l’inefficience des accords de Washington et Doha, regrettant qu’ils n’aient pas changé grand-chose sur le terrain. Certains observateurs de la scène politique congolaise soupçonnent l’homme d’avoir repris langue avec Joseph Kabila. Cette seule raison suffit pour justifier ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale congolaise.
La stratégie de la neutralité bienveillante
Dans ces conditions, la position officielle de Félix Tshisekedi face à l’allure prise par les événements dont le point de chute a été la démission pure et simple de son allié ne pourra convaincre que les plus naïfs. En apparence, le Président congolais se pose en garant des institutions, soucieux de laisser le Parlement régler ses propres affaires. Une posture institutionnelle irréprochable. Certes !
Mais cette neutralité a ses limites : le Président sait que la démission de son allié renforce paradoxalement sa propre marge de manœuvre. Un bureau dominé par des proches de l’UDPS offrirait une maîtrise accrue sur la chambre basse, sans qu’il ait à en porter la responsabilité politique directe. Quand on sait que le souhait de tout Exécutif, c’est d’avoir un Parlement entièrement acquis à sa cause, on comprend bien l’équation qui se présente devant le dirigeant congolais.
Derrière le discours d’apaisement se cache donc un habile équilibre : se montrer loyal vis-à-vis de Kamerhe tout en laissant le terrain libre à ceux qui veulent l’écarter. Donner même un coup de main via des manœuvres souterraines à ceux qui veulent faire le job n’est qu’un aspect du jeu politique.
Quel avenir pour l’alliance Tshisekedi – Kamerhe ?
La démission de Vital Kamerhe appelle désormais des questions : qu’adviendra-t-il de son alliance avec Félix Tshisekedi ? Kamerhe, qui s’est déjà relevé d’une disgrâce judiciaire, acceptera-t-il de demeurer le « frère » politique du chef de l’État ou interprétera-t-il ce désengagement comme un abandon ? À ces questions, le chef de l’État congolais a ses réponses à lui. Et il les a exprimées hier en ces termes : « Parce que je ne suis pas à la base justement de sa démission ni de ses problèmes, je ne vois pas pourquoi il va vouloir me tourner le dos, je n’y suis pour rien ». Mais ça, ce n’est que la réponse de Félix Tshisekedi. Vital Kamerhe, lui, n’a pas encore donné la sienne. Sa réponse conditionnera sans doute la recomposition en cours au sein de l’Union sacrée.
Ce qui est sûr, c’est qu’en politique, il n’existe point d’amitié totalement désintéressée. Félix Tshisekedi le sait mieux que quiconque : afficher une loyauté personnelle envers Kamerhe ne coûte rien… mais pourrait, demain, lui rapporter beaucoup si son allié décide encore une fois de rebondir.