RDC : HRW accuse les miliciens Wazalendo de graves abus et exhorte Kinshasa à cesser son soutien au groupe


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Dans la province du Sud-Kivu dans l’est de la République démocratique du Congo, les miliciens Wazalendo, officiellement soutenus par l’armée congolaise dans sa lutte contre la rébellion du M23, multiplient les exactions contre des civils. Meurtres, extorsions, harcèlement ethnique : derrière les slogans patriotiques se cache un système de violence incontrôlée, toléré – et parfois alimenté – par Kinshasa, selon un rapport de Human Rights Watch (HRW) publié ce vendredi.

Dans son dernier rapport, l’organisation Human Rights Watch (HRW) alerte sur des « abus généralisés » commis par les miliciens Wazalendo dans la province instable du Sud-Kivu. Ces milices locales, qui collaborent ponctuellement avec l’armée congolaise dans la lutte contre la rébellion de l’AFC/M23, sont accusées d’extorsions, de violences physiques et de discriminations ethniques. Au cœur de la polémique : le soutien actif – voire logistique – de Kinshasa à ces groupes considérés de plus en plus comme hors de contrôle.

Une milice alliée… et incontrôlée

Créée à partir de 2022 comme un front hétéroclite de groupes armés congolais opposés au M23, la coalition Wazalendo (signifiant « patriotes » en swahili) est devenue un acteur militaire majeur dans l’est du pays. Avec une force estimée à près de 20 000 combattants selon certaines sources militaires, les Wazalendo sont censés soutenir l’armée régulière dans sa guerre contre les rebelles pro-rwandais.

Mais sur le terrain, les frontières entre soutien militaire, milice incontrôlée et bandes criminelles sont floues. Human Rights Watch a documenté de nombreux cas de violences commises par ces groupes dans le Sud-Kivu en mars et avril 2025, notamment des exécutions sommaires, des extorsions de civils à des barrages illégaux, et des attaques ciblées contre les membres de la communauté banyamulenge, souvent assimilés à tort aux partisans du M23.

« Certains Wazalendo se comportent comme des policiers ou des juges autoproclamés », raconte un habitant d’Uvira, témoin de plusieurs passages à tabac. « Le 3 mars, à Sange, dans le territoire d’Uvira, un commandant Wazalendo a arrêté et fouetté un homme, âgé de 48 ans, accusé d’avoir volé une télévision. Un proche et un voisin ont déclaré que l’homme était décédé des suites de ses blessures. Le commandant, qui a plus tard été impliqué dans le meurtre d’un soldat congolais, a été démis de ses fonctions, mais n’a pas été poursuivi en justice pour ces meurtres », souligne HRW.

La face sombre du patriotisme armé

La situation s’est aggravée après la perte de Goma et Bukavu début 2025, tombées aux mains du M23. L’armée congolaise, en difficulté, s’est repliée sur ses positions, laissant le champ libre aux Wazalendo dans de nombreuses localités du Sud-Kivu. Ces derniers ont alors mis en place un système de prélèvement forcé sur les routes principales : entre 500 et 1 000 francs congolais exigés de chaque passant.

Le gouverneur intérimaire Jean-Jacques Elakano a reconnu publiquement, le 23 avril, l’incapacité de l’État à prélever l’impôt en raison de la mainmise des milices sur les infrastructures. « Les Wazalendo ne doivent pas se substituer à l’État », a-t-il déclaré. Mais dans les faits, c’est exactement ce qu’ils font. À Bibokoboko, le 3 mars, ils ont attaqué plusieurs villages banyamulenge, tuant au moins sept personnes, selon des témoignages corroborés par HRW et des images satellites. « Ils ont dit que nous étions rwandais, qu’ils venaient pour “nettoyer” », témoigne un chef de village. Des centres médicaux, écoles et habitations ont été détruits.

Harcèlement ethnique et impunité

Le conflit dans les Hauts-Plateaux oppose depuis des années des groupes armés organisés selon des lignes communautaires : Twirwaneho et Ngumino (banyamulenge), Maï Maï (Babembe, Bafuliru, Banyiundu), et aujourd’hui Wazalendo. Ce glissement vers une violence ethnique assumée alimente un cycle sans fin d’attaques et de représailles.

Depuis le désengagement total de la MONUSCO du Sud-Kivu en mai 2024, les tensions se sont encore accrues, fait observer le rapport. Le gouvernement congolais, au lieu de freiner cette spirale, l’alimente indirectement. L’armée fournit toujours armes et munitions aux Wazalendo. Plusieurs sources militaires affirment même que certains groupes auraient attaqué ou désarmé des unités régulières.

HRW pointe du doigt un homme qui serait au centre de cette politique ambigüe : il s’agit de Justin Bitakwira Bihona Hayi, député national et coordinateur du soutien gouvernemental aux Wazalendo dans le Sud-Kivu. Accusé de propos haineux contre les Tutsi congolais, convoqué sans suite par la justice en 2023, il incarne ce lien trouble entre pouvoir civil, milices armées et discours discriminatoire.

Les appels à la responsabilisation se multiplient. Clémentine de Montjoye, chercheuse senior à HRW, prévient : « L’armée congolaise risque de se rendre complice d’exactions en soutenant les Wazalendo ». Le droit international est clair : fournir sciemment un appui matériel à des groupes responsables de crimes graves engage la responsabilité des autorités. La situation actuelle pose donc une question cruciale : jusqu’où le gouvernement de Félix Tshisekedi est-il prêt à aller dans cette alliance tactique avec des milices, au prix de l’État de droit et de la cohésion nationale ?

En tout cas, la position de HRW est claire. L’organisation appelle à une enquête impartiale, au désarmement des milices et à la réforme du secteur de la sécurité en RDC.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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