
Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « vol en bande organisée » après la saisie par la junte nigérienne de 1 600 tonnes d’uranium appartenant au groupe français Orano. Une affaire à plus de 300 millions de dollars qui ravive les tensions entre Paris et Niamey et interroge l’avenir de l’approvisionnement nucléaire français.
Suite du bras de fer entre Paris et Niamey autour de l’uranium nigérien. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour « vol en bande organisée » après la saisie par les autorités militaires du Niger d’un stock de 1 600 tonnes de concentré d’uranium appartenant à Orano, ex-Areva. Ce concentré d’uranium, estimé à environ 310 millions de dollars, était au cœur de l’activité historique du groupe français dans le pays.
Saisi par la plainte d’Orano, le parquet de Paris a confié l’enquête à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), avec une qualification lourde : vol en bande organisée au profit d’une puissance étrangère, dans un contexte de recomposition géopolitique au Sahel.
Un stock stratégique au cœur du conflit
Le stock litigieux, composé d’environ 1 600 tonnes de concentrés miniers (yellowcake), était entreposé sur le site de la Somaïr, à Arlit, l’un des symboles de la présence minière française au Niger. Orano en revendique la propriété exclusive, mais la junte a pris physiquement le contrôle de cette cargaison après la nationalisation du site en juin 2025.
Selon les premières informations, une partie de l’uranium serait désormais stockée à Niamey. Cependant, une autre partie du convoi aurait été aperçue en direction du port de Lomé, au Togo, via le Burkina Faso. Un transfert interdit par les conventions internationales. Le préjudice global pour Orano est évalué à environ 310 millions de dollars.
Pour la France, cette saisie s’apparente à un détournement de ressources appartenant à une entreprise française, sous couvert de reprise de souveraineté sur les matières premières stratégiques nigériennes.
La piste russe et iranienne dans le viseur
Si la justice française retient la notion de « bande organisée », c’est que les enquêteurs soupçonnent la junte de chercher à écouler cet uranium en dehors des circuits traditionnels, en violation des contrats et cadres internationaux. L’hypothèse d’une vente à de nouveaux partenaires stratégiques, hors du giron occidental, est au cœur des investigations.
La Russie, via des sociétés liées au géant nucléaire Rosatom, est régulièrement citée parmi les prétendants potentiels à l’uranium nigérien. Moscou a d’ailleurs affiché son intérêt pour les gisements du pays depuis l’été 2025. L’Iran est également évoqué, sur fond de tensions autour de son programme nucléaire. Pour Paris, l’affaire dépasse le cadre purement commercial et s’inscrit dans un rapport de force géopolitique où l’uranium nigérien devient un levier d’alliances alternatives.
Une impasse politique, diplomatique et judiciaire
L’enquête française s’annonce particulièrement délicate, car elle se heurte à la souveraineté d’un État avec lequel les relations diplomatiques sont dégradées. Niamey a rompu avec l’ancien allié français et s’est rapproché d’autres partenaires, notamment russes, tout en contestant frontalement les contrats hérités de l’ère post-coloniale.
Du côté nigérien, le régime militaire revendique le « droit légitime du Niger de disposer de ses richesses » et accuse Orano d’avoir exploité le pays pendant un demi-siècle à des conditions jugées inéquitables. La saisie du stock de yellowcake est présentée comme un acte de justice économique et de reconquête de souveraineté.
En France, Orano a déjà engagé des recours devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), sous l’égide de la Banque mondiale. L’action pénale ouverte à Paris vise, elle, à tenter de geler d’éventuels avoirs, à entraver la revente de l’uranium sur le marché international et à poursuivre les intermédiaires ou structures qui faciliteraient cette opération.
Sur le court terme, l’impact de cette affaire sur l’approvisionnement des centrales nucléaires françaises reste limité. La filière s’appuie sur des stocks stratégiques et une diversification avancée de ses sources d’uranium, notamment au Kazakhstan, au Canada et en Australie.
En revanche, la rupture avec Niamey marque la fin d’un pilier historique de l’indépendance énergétique française. L’uranium nigérien a longtemps été l’un des symboles du partenariat, mais aussi des ambiguïtés, entre la France et ses anciennes colonies au Sahel.




