
Le régime militaire nigérien a annoncé la commercialisation internationale de son uranium, à l’encontre d’une décision du tribunal arbitral international. Un convoi de 1000 tonnes aurait déjà quitté les installations d’Arlit, cristallisant un bras de fer juridico-économique aux répercussions géopolitiques et financières majeures entre l’ancienne puissance coloniale française et les nouvelles autorités de Niamey.
Le convoi parti d’Arlit fin novembre cristallise toutes les tensions. Selon plusieurs sources médiatiques, environ 1000 tonnes d’uranium auraient quitté les installations de la Somaïr pour rejoindre le port de Lomé via le Burkina Faso, en dépit de l’interdiction formelle prononcée par le tribunal arbitral international. Orano a appris par voie de presse le départ de ce chargement, confirmant avoir perdu tout contrôle opérationnel sur ses anciennes mines.
Cette expédition intervient dans un contexte de rupture totale entre Niamey et le géant français du nucléaire. Le 30 novembre, le régime militaire nigérien a annoncé mettre sur le marché international l’uranium produit par la Somaïr, société nationalisée en juin dernier et qui était détenue à 63,4% par Orano. Le général Abdourahamane Tiani a revendiqué « le droit légitime du Niger de disposer de ses richesses naturelles, de les vendre à qui souhaite acheter, dans les règles du marché, en toute indépendance« , selon les propos rapportés par la télévision d’État.
Une décision du CIRDI ouvertement bafouée
Mais les choses ne sont pas si simples. En effet, le transport de cet uranium constitue une violation flagrante de la décision rendue le 23 septembre 2025 par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Le tribunal arbitral avait enjoint à l’État du Niger de ne pas vendre, ni céder ni même faciliter le transfert à des tiers de l’uranium produit par la Somaïr, donnant ainsi raison à Orano dans ce litige complexe.
Le groupe français, qui a perdu le contrôle de trois sites majeurs – la mine de la Somaïr, celle de Cominak (fermée depuis 2021) et le gisement d’Imouraren, l’un des plus importants au monde avec 200 000 tonnes de réserves – a immédiatement condamné cette action. Orano se réserve le droit d’engager des poursuites pénales contre des tiers si le matériel est saisi en violation de ses droits d’enlèvement. L’entreprise a d’ailleurs engagé un deuxième arbitrage auprès du CIRDI pour faire valoir ses droits suite à cette perte de contrôle opérationnel.
La nationalisation de l’uranium nigérien gravée dans le marbre
La visite du général Tiani sur le site de la Somaïr le 14 novembre a été symbolique dans cette guerre de l’uranium. Le chef de l’État a dévoilé la plaque de nationalisation, un acte qualifié d' »irréversible« , devant les travailleurs de la mine. S’adressant au personnel, il a déclaré que depuis près de 50 ans, l’exploitation de l’uranium n’avait bénéficié qu’aux opérateurs extérieurs, laissant aux populations locales les effets de la radioactivité. « Il est temps que le produit extrait du sous-sol nigérien profite aux fils du Niger« , a-t-il martelé, promettant 50 milliards de FCFA pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise désormais 100% étatique.
Cette politique de reprise en main des ressources naturelles s’inscrit dans une rupture diplomatique plus large avec l’ancienne puissance coloniale. Les militaires au pouvoir depuis le coup d’État de juillet 2023 ne cachent pas leur volonté de se tourner vers de nouveaux partenaires stratégiques. Moscou a déclaré en juillet sa volonté d’exploiter l’uranium nigérien, tandis que des informations non confirmées évoquent des négociations avec le géant russe Rosatom pour la vente du stock d’Arlit.
Des enjeux économiques et stratégiques colossaux
Les chiffres donnent le vertige dans ce conflit de l’uranium africain. Environ 1500 tonnes d’uranium seraient entreposées sur le site d’Arlit, représentant une valeur marchande estimée à 270 millions de dollars Lenergeek au prix spot actuel. Pour le Niger, septième producteur mondial qui fournit 4,7% de la production mondiale d’uranium naturel, ces ressources constituent un levier économique crucial dans un contexte de sanctions internationales et d’isolement diplomatique croissant.
Pour Orano et la France, la perte est stratégique autant que financière. En premier lieu, l’uranium disponible dans la mine a été produit alors que les investissements étaient réalisés par Orano; qui souhaite donc que le fruit de la vente lui revienne en partie. En outre, le groupe, détenu à plus de 90% par l’État français, a vu s’envoler plus de cinquante ans de présence industrielle au Sahel. Le Niger assurait jusqu’à 15% de l’approvisionnement en uranium de la France avant 2023, une source désormais tarie qui oblige Paris à diversifier en urgence ses approvisionnements vers le Kazakhstan, le Canada et la Mongolie pour alimenter son parc nucléaire qui produit 70% de l’électricité nationale.
Un dangereux précédent pour le droit international des investissements
Au-delà du contentieux franco-nigérien, cette affaire pose la question fondamentale du respect du droit international des investissements en Afrique de l’Ouest. Le fait qu’un État puisse ignorer délibérément une décision du CIRDI, organe de la Banque mondiale, envoie un signal préoccupant aux investisseurs internationaux. Ignorer cette ordonnance pourrait avoir des conséquences graves : saisies d’actifs nigériens à l’étranger, perte de confiance des investisseurs internationaux, préviennent les analystes juridiques.
Si le discours souverainiste trouve un écho favorable dans une population marquée par des décennies d’exploitation minière aux retombées locales limitées, les défis opérationnels et juridiques restent immenses et une sortie négociée serait sans dout préférable. Désormais le pays doit gérer seul une infrastructure minière complexe nécessitant expertise technique et investissements massifs, ce qui est compliqué alors que le Niger est exangue financièrement. En outre, trouver de nouveaux débouchés commerciaux dans un marché mondial de l’uranium hautement régulé va être compliqué alors que l’aspect juridique du dossier n’est pas soldé. Enfin, il faut assumer l’héritage environnemental de décennies d’extraction, et Orano peut désormais s’en laver les mains, ayant été dépossédé de sa responsabilité en même temps que de ses mines.
Cette crise de l’uranium nigérien illustre les tensions croissantes entre les aspirations souverainistes des nouveaux régimes militaires sahéliens et l’ordre juridico-économique international hérité de la période post-coloniale. Son dénouement pourrait bien servir de précédent pour d’autres pays africains riches en ressources naturelles, tentés par une remise en cause radicale des accords miniers historiques avec les anciennes puissances coloniales.



