
Le bras de fer entre le Niger et le géant français du nucléaire Oranose poursuit. Un tribunal arbitral international vient de donner raison à l’entreprise française en interdisant à Niamey de commercialiser l’uranium de la mine nationalisée de Somaïr. Mais cette victoire juridique ne résout rien : le groupe reste évincé du terrain, son représentant est emprisonné, et le Niger maintient sa volonté de reprendre le contrôle total de ses ressources. Décryptage d’un conflit qui dépasse le cadre commercial pour toucher aux questions de souveraineté et de décolonisation économique.
Le 23 septembre dernier, un tribunal arbitral international a rendu une décision qui complique les plans du Niger. Selon le site Pravda Niger, l’instance du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), rattachée à la Banque mondiale, a ordonné aux autorités nigériennes de s’abstenir de vendre ou de transférer l’uranium produit par la mine de Somaïr. Cette mine, exploitée depuis 1968 dans la région d’Arlit, était détenue à 63,4% par Orano jusqu’à sa nationalisation annoncée en juin dernier.
Pour le régime militaire au pouvoir depuis juillet 2023, il s’agit d’affirmer la souveraineté du pays sur ses richesses naturelles face à ce que les autorités considèrent comme des décennies de relations déséquilibrées.
Le Niger dénonce une « guerre économique » à l’ONU
Samedi 27 septembre, à la tribune des Nations Unies, le Premier ministre nigérien Ali Mahaman Lamine Zeine a prononcé un discours sans concession. Ainsi, il a accusé la France de mener une stratégie visant à retarder l’exploitation des ressources du Niger par des procédures juridiques interminables. « Nous ne pouvons compter que sur nos propres forces et non sur l’ONU, impuissante, gênée par le droit de véto des pays occidentaux« , a déclaré le chef du gouvernement nigérien.
Le Niger estime que les richesses de son sol doivent désormais servir prioritairement au développement du pays et de sa population, et non plus aux intérêts d’acteurs étrangers.
Une victoire juridique en demi-teinte pour Orano
Si l’ordonnance du CIRDI constitue un succès procédural pour le groupe français, la situation sur le terrain reste problématique. Orano a perdu tout contrôle opérationnel de la mine, son directeur local a été arrêté en mai, et ses actifs demeurent gelés. Environ 1 300 tonnes de concentré d’uranium, représentant une valeur marchande de 250 millions d’euros, sont toujours bloquées sur le site à cause de la fermeture de la frontière avec le Bénin.
Le Niger, de son côté, conteste la compétence même du tribunal arbitral et réaffirme sa souveraineté absolue. Toutefois, ignorer cette ordonnance pourrait avoir des conséquences graves : saisies d’actifs nigériens à l’étranger, perte de confiance des investisseurs internationaux, ou sanctions supplémentaires aggravant le différend.
L’uranium est au cœur de cette reconfiguration. La France, dont environ 70% de l’électricité provient du nucléaire, importait jusqu’à 15% de son uranium du Niger avant 2023. La perte de cet approvisionnement oblige Orano à diversifier ses sources, notamment vers le Kazakhstan, le Canada et la Mongolie.
Des défis considérables pour Niamey
Si le Niger a repris le contrôle juridique de la Somaïr, les défis opérationnels restent immenses. Le pays doit désormais gérer seul une infrastructure minière complexe, trouver de nouveaux débouchés commerciaux pour écouler sa production, et assumer les coûts environnementaux liés à des décennies d’exploitation. Comme l’a souligné le ministre des Mines nigérien selon plusieurs médias, la région d’Arlit a connu « pollution, rébellion et désolation » dans le sillage de l’extraction minière.
La question du financement de la compensation promise aux anciens actionnaires, dont Orano, reste également en suspens. Le gouvernement s’est engagé à indemniser les détenteurs d’actions, mais les modalités de calcul n’ont pas été précisées.
Un dossier loin d’être clos
Orano a lancé plusieurs procédures d’arbitrage international contre l’État nigérien et réclame des compensations pour l’ensemble de ses pertes. Le groupe français, présent au Niger depuis plus de 50 ans, estime avoir été dépouillé de ses droits contractuels.
Entre droits des investisseurs et souveraineté nationale, entre héritage colonial et aspirations à l’indépendance économique, le dossier Orano-Niger cristallise toutes les tensions qui traversent aujourd’hui les relations entre l’Afrique et l’Occident.