
Au Maroc, la pauvreté gronde, les inégalités se creusent, et la jeunesse désespère. Mais pendant ce temps, les moteurs vrombissent sous les ors d’un régime qui semble davantage préoccupé par le confort de ses élites que par les conditions de vie de ses citoyens. La récente révélation par la ministre de l’Économie et des Finances, Nadia Fettah, des dépenses faramineuses consacrées au parc automobile de l’État, jette une lumière crue sur les priorités d’un pouvoir monarchique de plus en plus contesté, de moins en moins légitime.
À la suite d’une question parlementaire du député Nabil Dakhch, on apprend que plus de 3 milliards de dirhams par an sont affectés à l’entretien, au carburant et au renouvellement des voitures de fonction de l’administration publique marocaine. Ces chiffres, choquants en soi, révèlent une tendance à la hausse, avec des dépenses moyennes qui dépassent celles de la période 2020-2023. Alors même que le pays se débat avec une inflation galopante, un chômage endémique et une crise sociale profonde, l’État consacre des milliards à l’entretien d’un luxe bureaucratique.
La monarchie, sous le règne de Mohammed VI, prétend incarner la stabilité, la modernité et la rigueur. Mais ces prétentions s’effondrent face à la réalité d’un système où les privilèges de la classe dirigeante priment systématiquement sur l’intérêt général. L’affaire des voitures de fonction n’est pas une simple polémique technique sur la gestion des deniers publics : elle est le symptôme d’un régime monarchique déconnecté, qui entretient une caste d’apparatchiks au détriment du peuple.
Une élite motorisée, un peuple à pied
Comment justifier que 60% des crédits alloués au parc automobile soient engloutis dans les carburants et les lubrifiants ? La ministre elle-même reconnaît une utilisation abusive des véhicules de service à des fins privées. C’est là que réside le cœur du scandale : ces voitures ne servent pas seulement à des missions officielles, mais bien souvent à des trajets personnels, à des déplacements de confort, voire à des abus flagrants d’autorité. Dans un pays où le SMIG avoisine péniblement les 3 000 dirhams, où les hôpitaux publics manquent de tout, où des régions entières sont privées d’accès à l’eau potable et à l’éducation de base, ces dépenses sont non seulement injustifiables, mais profondément immorales.
L’État marocain, sous l’autorité du roi Mohammed VI, fonctionne selon une logique de rente et de clientélisme. La gestion du parc automobile de l’administration n’est qu’un exemple parmi tant d’autres du gaspillage systémique des ressources publiques dans un pays où la transparence est un vœu pieux et le contrôle démocratique un simulacre.
Des réformes cosmétiques pour éviter l’essentiel
Face à la polémique, le gouvernement tente de calmer le jeu en évoquant des mesures correctives : renouvellement progressif du parc, contrôle accru, motorisations hybrides, rationalisation des achats… Mais tout cela relève davantage de la communication technocratique que d’une volonté réelle de réforme. Ces promesses récurrentes de « bonne gouvernance » n’ont de cesse d’être brandies pour donner le change à l’opinion publique, sans jamais déboucher sur des résultats concrets.
Car le problème n’est pas technique, il est politique. Il ne s’agit pas seulement de mieux gérer les voitures, mais de remettre en cause une culture du privilège profondément enracinée au sommet de l’État. Et dans un régime aussi centralisé que le Maroc, où toutes les grandes orientations dépendent in fine de la volonté royale, on ne peut ignorer la responsabilité directe de Mohammed VI dans la perpétuation de cette gabegie. Depuis des années, les critiques s’accumulent sur l’absence du roi, sa gestion opaque des affaires de l’État, son goût du luxe et de la vie à l’étranger.
Un roi absent, un pouvoir irresponsable
Les dépenses automobiles, aussi scandaleuses soient-elles, ne sont qu’un reflet de la gouvernance monarchique autoritaire et patrimoniale, où l’État est traité comme une propriété privée, et les fonds publics comme une caisse personnelle. Le Maroc, sous Mohammed VI, souffre d’un déficit criant de redevabilité. Les parlementaires sont impuissants, la presse est muselée, les voix critiques sont souvent réduites au silence. Dans ce contexte, aucun scandale n’a de conséquences. Aucune enquête indépendante n’est ouverte, aucun haut fonctionnaire n’est sanctionné, aucune réforme structurelle n’est engagée.
Tout est fait pour que les choses continuent comme avant, dans un simulacre de modernité qui dissimule mal l’autoritarisme. Ce n’est donc pas seulement une affaire de dirhams gaspillés. C’est une affaire de crédibilité politique. Chaque voiture utilisée à des fins privées, chaque litre de carburant payé par les contribuables pour le confort d’un fonctionnaire corrompu, est un coup porté à la confiance déjà très fragile entre l’État et les citoyens. Et cette confiance, une fois rompue, ne se répare pas avec quelques promesses ou circulaires.
Au nom d’un pouvoir royal devenu aveugle
Elle exige une transformation radicale du mode de gouvernance, une monarchie qui cesse de se croire au-dessus des lois, et un pouvoir qui accepte enfin d’être redevable devant le peuple. Le Maroc n’a pas besoin de voitures neuves. Il a besoin d’une démocratie réelle. Il a besoin d’un régime où les ressources publiques servent à réduire la pauvreté, améliorer les services sociaux, créer des opportunités pour les jeunes, et non à entretenir les privilèges d’une élite protégée par la monarchie. Mohammed VI est au pouvoir depuis plus de deux décennies.
Il est temps de faire le bilan : derrière les façades de modernisation, le système reste profondément inégalitaire, autoritaire et dispendieux. Tant que cette monarchie continuera à fonctionner sans contrôle, sans opposition réelle, sans presse libre et sans reddition de comptes, le Maroc restera enfermé dans une spirale de stagnation sociale et de dérive politique. Il est plus que temps que les Marocains demandent des comptes. Non seulement pour les milliards gaspillés sur les routes, mais pour l’avenir qu’on leur vole, jour après jour, au nom d’un pouvoir royal devenu aveugle à sa propre indécence.