Mali : sous escorte militaire, 82 camions-citernes déjouent le blocus du JNIM


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Une station-service
Des pompes dans une station-service

L’arrivée à Bamako, samedi dernier, de 82 camions-citernes d’hydrocarbures offerts par le Niger passe pour un moment clé dans la crise énergétique qui secoue le Mali depuis plus de deux mois.

Cette opération constitue un signal politique fort de la consolidation d’un axe stratégique inédit entre Bamako, Niamey et Ouagadougou face aux pressions régionales et aux menaces terroristes.

Un convoi hautement symbolique, escorté par les forces unifiées de l’AES

C’est vers midi, ce samedi 22 novembre, que les camions-citernes, escortés par les Forces de défense et de sécurité unifiées de l’AES – pick-up, blindés et motos en tête – ont franchi les portes de Bamako. Le convoi aura parcouru près de 1 400 km depuis Niamey, traversant des zones sensibles du Sahel sans incident. Arborant les couleurs du Niger, les camions ont été accueillis par le ministre malien de l’Industrie et du Commerce, Moussa Alassane Diallo, qui a salué une opération « courageuse » et « déterminante » dans un contexte de pénurie sévère de carburant.

Face aux caméras, le ministre n’a pas caché la portée de ce soutien : « Ces citernes vont contribuer à améliorer l’approvisionnement en produits pétroliers, mais surtout à réduire les souffrances de nos populations ». Le gouvernement malien a également tenu à honorer les chauffeurs et leurs équipes, qui ont assuré une mission à la fois logistique et stratégique dans un climat de forte menace.

Une réponse à l’étouffement économique imposé par le JNIM

Depuis plus de 70 jours, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM ou JNIM), lié à al-Qaïda, impose au Mali un blocus ciblant les importations de carburant. Cette stratégie vise à asphyxier l’économie, paralyser les transports, freiner les activités productives et exercer une pression sociale massive sur Bamako. Les conséquences visibles de ce blocus sont : les files d’attente interminables devant les stations-service, la flambée des prix du transport, le ralentissement de secteurs entiers de l’économie, les difficultés d’approvisionnement dans les régions.

Dans ce contexte, les 82 camions nigériens représentent une bouffée d’oxygène, même si leur impact restera limité : selon les économistes maliens, Bamako a besoin de 150 citernes par jour pour un fonctionnement normal. Le geste est donc avant tout symbolique, mais hautement politique.

L’AES en action : un signe concret de solidarité et de coordination militaire

C’est la première opération de cette envergure menée dans le cadre de l’Alliance des États du Sahel (AES), créée après la rupture avec la CEDEAO. L’ambassadeur du Niger au Mali, Abdou Adamou, l’a rappelé avec force : « On n’a pas oublié ce que le Mali a fait pour le Niger quand il était menacé d’agression par la CEDEAO ».

Ce convoi constitue donc une réponse directe aux interrogations croissantes sur la capacité réelle de l’AES à opérer conjointement face aux crises. Pour plusieurs analystes, l’enjeu dépasse largement la seule question énergétique. C’est le cas du politologue Boubacar Ba pour qui il s’agit non seulement d’un « acte symbolique de solidarité », mais aussi le signe avant-coureur d’éventuelles actions militaires conjointes. « Les trois armées ont sécurisé ensemble la traversée du Sahel, ce qui n’est pas anodin », explique-t-il.

Pour les autorités des trois pays, cette opération marque une étape dans la mise en œuvre de la Confédération de l’AES, projet politique visant à structurer une coopération économique, sécuritaire et diplomatique renforcée.

Un geste fraternel, mais aussi géopolitique

L’envoi des 82 citernes intervient dans un contexte de recomposition régionale profonde. Après les sanctions de la CEDEAO contre le Niger en 2023, le Mali et le Burkina Faso avaient soutenu Niamey. Les trois pays ont depuis quitté l’organisation régionale pour former l’AES, structure pensée comme une alternative souverainiste à l’intégration économique ouest-africaine traditionnelle. Cette opération renforce la crédibilité de l’AES, souvent critiquée pour son manque d’actions concrètes depuis sa création. Il s’agit donc d’un geste diplomatique, qui consolide un axe sahélien en pleine affirmation face aux partenaires extérieurs.

Si la crise du carburant reste loin d’être résolue, l’opération renforce la cohésion de l’AES et envoie un message clair : les trois États entendent désormais apporter des réponses collectives aux crises sécuritaires et économiques qui fragilisent la région. Pour le Mali, ce convoi constitue une première brèche dans le blocus terroriste. Pour l’AES, il représente un premier acte fondateur montrant que la solidarité sahélienne peut se traduire en actions concrètes.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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