
Près de quinze ans après la disparition du régime de Kadhafi, la Libye tente de refermer un long épisode de violences et de divisions. Malgré l’abondance de ses ressources énergétiques, le pays peine à reconstruire un État fonctionnel dans un climat instable. L’arrivée annoncée de BP et Shell dans de nouveaux projets pétroliers relance l’espoir d’une reprise économique dans ce pays du Maghreb.
Plus d’une décennie après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye cherche aujourd’hui à refermer un chapitre marqué par l’instabilité politique, les conflits armés et l’effondrement des institutions. Ce pays d’Afrique du Nord, riche en hydrocarbures, tente de se reconstruire en misant sur son principal atout : le pétrole. L’annonce récente de nouveaux partenariats énergétiques avec les géants britanniques BP et Shell est un grand pas vers une normalisation économique, mais la route reste semée d’embûches.
Une décennie de chaos
La genèse du conflit libyen remonte à 2011, dans le sillage des Printemps arabes. Inspirés par les soulèvements populaires en Tunisie et en Égypte, des mouvements de contestation éclatent en Libye contre le régime autoritaire de Kadhafi, au pouvoir depuis 1969. La répression sanglante exercée par le pouvoir pousse la communauté internationale à intervenir : une coalition dirigée par l’OTAN appuie militairement les rebelles. Le 20 octobre 2011, Kadhafi est tué à Syrte, sa ville natale. Mais loin d’apporter la stabilité, sa chute ouvre une période de chaos prolongé.
Le vide politique laissé par la disparition du régime a entraîné la fragmentation du pays. Plusieurs groupes armés, milices tribales et factions islamistes se disputent alors le pouvoir. Deux gouvernements rivaux émergent : l’un basé à Tripoli à l’ouest, soutenu par les Nations unies, et l’autre à l’est, appuyé par l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar. Ce morcellement empêche toute gouvernance cohérente, alimente les affrontements militaires et freine la reconstruction.
Une économie sous perfusion
Durant ces années de crise, l’économie libyenne s’est effondrée. L’inflation, le chômage, l’insécurité et la dégradation des services publics ont plongé la population dans une précarité chronique. Pourtant, la Libye possède les plus grandes réserves prouvées de pétrole en Afrique (environ 48 milliards de barils). Avant la révolution de 2011, le pays produisait environ 1,6 million de barils par jour et tirait plus de 95% de ses revenus d’exportation des hydrocarbures. Mais les conflits ont gravement perturbé cette industrie stratégique : sabotages, blocages de terminaux, attaques contre les installations, exode des techniciens étrangers…
La Compagnie nationale libyenne de pétrole (National Oil Corporation – NOC), bien que présentée comme neutre dans les conflits politiques, a dû faire face à d’innombrables défis : chutes de production, problèmes de maintenance, arrêt des investissements étrangers. L’effondrement des recettes pétrolières a privé l’État de sa principale source de financement, aggravant la crise humanitaire et institutionnelle.
Un nouveau départ avec le pétrole ?
Depuis 2021, avec la mise en place d’un gouvernement d’union nationale parrainé par l’ONU, la Libye tente de rétablir une forme de stabilité, bien que fragile. Dans ce contexte, la NOC cherche à relancer le secteur pétrolier, considéré comme le moteur de la reconstruction économique. L’annonce de nouveaux partenariats avec BP et Shell symbolise cette volonté. Ces deux géants de l’énergie, autrefois actifs en Libye, avaient quitté le pays dans les années 2010 en raison de l’insécurité.
Leur retour progressif, prévu d’ici fin 2025 avec notamment la réouverture des bureaux de BP à Tripoli, traduit un regain de confiance dans l’avenir économique du pays. Ces accords incluent des opérations d’exploration, de développement et de modernisation sur plusieurs sites pétroliers et gaziers. La Libye produit actuellement environ 1,4 million de barils de pétrole par jour. L’objectif affiché à court terme est de retrouver les niveaux de production d’avant-guerre, soit 1,6 million de barils par jour.
Objectif de 2 millions de barils
Mais à moyen terme, le gouvernement vise une production de 2 millions de barils grâce à la remise en état des infrastructures, la construction de nouveaux puits et l’augmentation de la capacité de raffinage. La relance du secteur pétrolier pourrait offrir une bouffée d’oxygène à l’économie libyenne. Par ailleurs, les projets en cours incluent également des discussions avec d’autres opérateurs internationaux, preuve de l’attractivité renouvelée du secteur. Le gouvernement cherche à moderniser les installations, améliorer la sécurité sur les sites et garantir un environnement plus favorable aux investisseurs.
Le processus de transition politique reste fragile, avec de grandes rivalités entre factions et l’absence d’élections nationales depuis plus d’une décennie. La corruption, le manque de transparence et l’absence d’un cadre légal solide freinent encore les investissements. La question de la répartition des revenus pétroliers entre les différentes régions, notamment entre l’Est et l’Ouest, pourrait raviver les tensions. Sur un autre registre, la dépendance presque exclusive à l’or noir rend l’économie libyenne vulnérable aux fluctuations du marché international du pétrole. Le retour progressif des grandes compagnies pétrolières, combiné à une volonté politique de stabilisation, offre à la Libye une fenêtre d’opportunité pour tourner la page du chaos.