
Alors que les forces de sécurité malgaches répriment violemment les manifestations depuis septembre 2025, Paris maintient son soutien discret au président Andry Rajoelina. Une posture qui illustre la persistance de la Françafrique soixante-cinq ans après l’indépendance.
Depuis le 25 septembre 2025, Madagascar traverse l’une des crises politiques les plus graves de son histoire récente. Ce qui a commencé comme un mouvement de protestation contre les coupures incessantes d’eau et d’électricité s’est rapidement transformé en une contestation massive du régime d’Andry Rajoelina. Les jeunes de la « Gen Z » malgache, inspirés par les mouvements de révolte au Népal et au Maroc, réclament désormais la démission pure et simple du président.
Selon les Nations Unies, au moins 22 personnes ont trouvé la mort et plus d’une centaine ont été blessées dans la répression menée par les forces de sécurité. Les grenades lacrymogènes, les balles réelles et les véhicules blindés ont été déployés massivement dans les rues d’Antananarivo et d’autres grandes villes de l’île. Les journalistes sont intimidés, les manifestants arrêtés arbitrairement, et le pays sombre dans l’autoritarisme.
Le silence assourdissant de Paris
Face à cette situation dramatique, la France est remarquée par son absence de réaction. Alors que l’Union Africaine propose son aide pour trouver une sortie de crise, que l’ONU dénonce publiquement la violence de la répression, Paris se contente d’émettre des messages de sécurité à destination de ses ressortissants. Pas un mot sur les violations des droits humains, pas une condamnation de l’usage disproportionné de la force, pas un appel au respect de la liberté de manifester.
Cette discrétion n’est pas innocente. Elle s’inscrit dans une longue tradition de soutien français aux régimes contestables sur le continent africain. Car Andry Rajoelina n’est pas un chef d’État comme les autres aux yeux de Paris : c’est un citoyen français.
Un président doublement franco-malgache
La révélation, en juin 2023, de l’acquisition par Andry Rajoelina de la nationalité française en novembre 2014 avait provoqué un scandale politique à Madagascar. Cette naturalisation, obtenue pendant sa période de retrait de la vie politique malgache, est largement suspectée d’avoir été le fruit de négociations destinées à faciliter son départ du pouvoir après le coup d’État de 2009.
L’ironie est cinglante : le président qui revendique avec véhémence la restitution des îles Éparses françaises, qui affiche une posture nationaliste et anticoloniale, détient depuis dix ans un passeport français. Lui, sa femme et ses trois enfants bénéficient de tous les avantages de la citoyenneté de l’ancienne puissance coloniale. Pendant ce temps, le peuple malgache qu’il prétend défendre vit dans la misère, privé d’eau courante et d’électricité régulière.
Le soutien français à Rajoelina ne date pas d’hier. En 2009, lorsqu’il s’empare du pouvoir par un coup d’État anticonstitutionnel, chassant le président démocratiquement élu Marc Ravalomanana, la communauté internationale crie au scandale. L’Union Africaine suspend Madagascar, la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) refuse de reconnaître la nouvelle présidence, les États-Unis dénoncent un « coup d’État ».
La France, elle, adopte une position beaucoup plus ambiguë. Certes, à l’époque Nicolas Sarkozy demande publiquement des élections « le plus vite possible », mais dans les faits, Paris maintient ses aides au gouvernement de transition et reconnaît rapidement le régime de Rajoelina. L’ambassadeur de France, Jean-Marc Châtaignier, présente même ses lettres de créance au président de la transition, légitimant de facto son pouvoir. Comme le soulignait l’association Survie en 2009, la France multiplie les « efforts diplomatiques pour légitimer le putschiste Andry Rajoelina« .
2023 Macron soutient explicite de Rajoelina
Les années suivantes n’ont fait que confirmer cette proximité. Enfin, en juin 2023, quelques mois avant une élection présidentielle largement contestée, Emmanuel Macron reçoit Andry Rajoelina à l’Élysée. À l’issue de cet entretien, la présidence malgache annonce triomphalement que « la France soutient fermement les efforts de Madagascar pour l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques. » Paris s’engage même à contribuer au financement du processus électoral.
L’élection de novembre 2023 sera pourtant boycottée par l’opposition, avec un taux de participation inférieur à 50% des inscrits. Rajoelina, qui se réclame réélu dès le premier tour avec près de 59% des voix, fait face à des accusations de fraude massive. La Commission Électorale, comme la Haute Cour Constitutionnelle, sont considérées par l’opposition comme acquises au pouvoir. Qu’importe : la France salue le résultat.
En juillet 2024, nouvelle invitation à l’Élysée à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris. Macron se « réjouit de la densité du partenariat franco-malgache » et promet que « la France continuera d’apporter un soutien financier à Madagascar« . Les deux présidents conviennent d' »approfondir ce partenariat dans tous les domaines » – y compris, sans doute, dans celui de la coopération sécuritaire.
La Françafrique n’est pas morte
Cette complaisance française envers Rajoelina s’inscrit dans un schéma bien rodé que les militants associatifs ont baptisé « Françafrique« . Ce système de relations postcoloniales vise à maintenir l’influence de Paris sur son ancien pré carré africain, quitte à soutenir des régimes autoritaires et corrompus.
Le parallèle avec d’autres situations est frappant. Au Tchad, Macron soutient ouvertement Mahamat Déby malgré la répression sanglante d’octobre 2022. Au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, les mêmes mécanismes se reproduisent : des élections contestées validées par Paris, des violations des droits humains ignorées, des intérêts économiques et géostratégiques français préservés au détriment des aspirations démocratiques des peuples.
À Madagascar, ces intérêts sont multiples. L’île occupe une position stratégique dans l’océan Indien. Ses ressources naturelles exceptionnelles – minerais rares, biodiversité unique – attirent les convoitises. Et puis il y a les îles Éparses, ces territoires français revendiqués par Madagascar, dont le contrôle garantit à Paris une zone économique exclusive de plus de 640 000 km².
Un peuple abandonné
Pendant que les chancelleries négocient et que les intérêts s’entrechoquent, le peuple malgache paie le prix fort. Madagascar reste l’un des pays les plus pauvres de la planète, classé 140e sur 180 dans l’indice de perception de la corruption. Les coupures d’eau et d’électricité dépassent 120 heures par semaine dans certains quartiers. Seulement un tiers de la population a accès à l’électricité. La pauvreté touche plus de 90% des habitants.
Les jeunes manifestants qui bravent les balles dans les rues d’Antananarivo ne réclament pas la lune. Simplement avoir accès aux services de base, pouvoir étudier dans des conditions décentes. Où avoir les mêmes opportunités que les enfants des dirigeants qui, eux, sont scolarisés en France. Ils réclament seulement une démocratie réelle où la parole du peuple compte.
Mais leur cri se heurte à un mur d’indifférence. Le mur d’un système où les intérêts géopolitiques et économiques de l’ancienne puissance coloniale priment sur les aspirations légitimes des peuples. Le mur d’une Françafrique qui, contrairement à ce que certains voudraient croire, n’a jamais disparu.
Vers un nouveau coup d’État ?
La situation reste explosive. Rajoelina a beau dissoudre son gouvernement et nommer un militaire comme Premier ministre, les manifestants ne faiblissent pas. Ils ont même lancé un « ultimatum » de 48 heures au président. En outre, La Gen Z menace de prendre « toutes les mesures nécessaires » si leurs revendications ne sont pas entendues.
Le spectre d’un coup d’État militaire plane. Et ironiquement, c’est Rajoelina lui-même qui dénonce une « tentative de coup d’État ». Ainsi, il affrime sans preuves que « des pays et agences ont payé ce mouvement » pour l’évincer. Une accusation qui sonne creux venant d’un homme qui a lui-même accédé au pouvoir par un putsch.
Dans ce contexte tendu, le silence de la France résonne comme un blanc-seing donné à la répression. En refusant de condamner les violences, en maintenant son soutien politique et financier au régime, Paris envoie un message clair : l’ordre prime sur la justice, la stabilité sur la démocratie, les intérêts français sur les droits humains.
Il est temps de changer de paradigme
Soixante-cinq ans après l’indépendance de Madagascar, il est temps que la France assume enfin son passé colonial et rompe avec les logiques néocoloniales. Cela implique de cesser de soutenir des dirigeants contestés sous prétexte de « stabilité », d’arrêter de privilégier les intérêts économiques au détriment des aspirations démocratiques, de condamner fermement les violations des droits humains où qu’elles se produisent.
Le peuple malgache n’a pas besoin de la bienveillance paternaliste de Paris. Il a besoin que la France cesse de se mêler de ses affaires intérieures, qu’elle arrête de légitimer des régimes autoritaires, qu’elle respecte enfin sa souveraineté réelle.
Les jeunes qui manifestent dans les rues d’Antananarivo ne demandent pas l’intervention de l’ancienne puissance coloniale. Ils réclament simplement que Paris cesse d’être complice de leur oppression. C’est la moindre des choses que la France puisse faire pour ce pays qu’elle a colonisé pendant près d’un siècle, qu’elle a « pacifié » dans le sang en 1947 au prix de dizaines de milliers de vies, et dont elle continue aujourd’hui, par son silence, de cautionner l’étouffement des voix libres.