
Face à une jeunesse mobilisée, ultra-connectée et excédée par les coupures d’eau, d’électricité et d’avenir, le président Andry Rajoelina choisit… un général. Non pas un technocrate, un économiste ou une figure du dialogue social, mais un militaire de carrière. L’annonce du général de division Ruphin Fortunat Zafisambo à la tête du gouvernement malgache marque une rupture aussi spectaculaire qu’inquiétante dans la gestion de la crise politique actuelle.
Une réponse militaire à une colère sociale
Ce n’est pas un Premier ministre, c’est un signal. Celui d’un pouvoir qui, plutôt que d’écouter, s’arme. Depuis plusieurs semaines, la jeunesse malgache, menée par le collectif Gen-Z, réclame des réponses concrètes : eau potable, accès à l’électricité, fin de la corruption et surtout, respect du droit de manifester. En retour, elle reçoit des gaz lacrymogènes, des arrestations, et désormais, un général aux commandes.
Ruphin Zafisambo, inconnu du grand public, n’a pas de passé civil ni de parcours politique éclairé. Son seul fait d’armes : avoir été chef de cabinet militaire à la primature. Un choix stratégique ? Plutôt un choix autoritaire. Ce n’est pas l’expérience qui semble avoir guidé cette nomination, mais la loyauté et la capacité à « maintenir l’ordre », une priorité répétée en boucle par le chef de l’État lors de son allocution télévisée.
Une jeunesse en colère, pas en guerre
Le parallèle avec Haïti, évoqué par Andry Rajoelina pour justifier cette nomination, est pour le moins malvenu. La Gen-Z malgache ne prend pas les armes : elle prend la parole. Et elle le fait avec intelligence, méthode et résilience. Des hashtags aux manifestations pacifiques, la contestation n’est pas l’œuvre de « bandits », mais d’étudiants, de chômeurs, d’activistes, de simples citoyens qui veulent vivre dignement.
Opposer un général à une génération, c’est faire le choix de la confrontation plutôt que de la réforme. C’est risquer l’escalade, alors que la tension est déjà maximale dans plusieurs villes du pays. L’ONU évoque 22 morts lors des manifestations ; le gouvernement conteste. Mais les faits sont têtus : le pays est sous couvre-feu, les rassemblements sont dispersés violemment, et les arrestations se multiplient.
Un calendrier irréaliste, un pouvoir aux abois face au piège de l’autoritarisme
Six mois. C’est le délai donné au général Zafisambo pour « rétablir l’ordre », améliorer la distribution d’eau et d’électricité, lutter contre la corruption et construire des cités universitaires. Sur le papier, c’est un plan Marshall. Dans la réalité, c’est une fuite en avant. Ces chantiers sont lourds, structurels, chroniquement mal financés, et minés par des décennies de mauvaise gouvernance. Derrière ces annonces se cache une stratégie de diversion : détourner l’attention de la rue, calmer la grogne par de grands discours, mais sans réponse immédiate aux revendications les plus simples, comme le droit de manifester sans risquer sa vie.
Nommer un général à la Primature, c’est aussi envoyer un message aux forces de l’ordre : la ligne dure est validée. Cela pourrait donner carte blanche à la répression. Une décision lourde de conséquences dans un pays où la mémoire des crises politiques reste vive, de 2009 à 2018. La concertation nationale annoncée sous l’égide des Églises ? Une initiative louable, mais tardive et possiblement cosmétique. Sans volonté d’ouverture réelle, elle risque d’être perçue comme une manœuvre dilatoire.
Ce que veut la Gen-Z, c’est du respect, pas des matraques
Le mouvement Gen Z n’est pas une menace pour la République ; il en est une composante vitale. Cette génération, née avec Internet et la débrouille, connectée au monde et aux injustices locales, réclame un contrat social, pas un état d’urgence. Elle veut des professeurs, pas des préfets militaires. Des hôpitaux, pas des bastions. Chaque jour qui passe sans réponse sincère ne fait que radicaliser une frange jusque-là pacifique. Le pouvoir doit comprendre une chose essentielle : la peur a changé de camp.
Le choix de la force face au peuple est un pari dangereux. À vouloir mater la jeunesse par la répression, Andry Rajoelina pourrait précipiter son régime dans une spirale de contestation sans fin. Madagascar mérite mieux qu’un gouvernement martial. Elle mérite un avenir. Un espoir. Des lendemains meilleurs pour une jeunesse dans le désarroi total.