L’incroyable odyssée des Marocains rescapés d’Irak


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Pour échapper aux bombardements, plusieurs familles marocaines installées en Irak depuis les années 80 ont décidé de tout abandonner sur place. Avant de pouvoir rentrer au Maroc, elles ont réussi à rejoindre le camp de réfugiés de la Croix-Rouge de Rouiched en Jordanie. Témoignages.

Ils ont échappé au pire. Une première fois en 1991, lors de la première guerre du Golfe. Puis une deuxième fois en 2003, lors de cette deuxième guerre. Marocains ayant vécu en Irak depuis le début des années 80, ils ont assisté au conflit dans toute son atrocité. Cinq familles et quatre jeunes (voyageant seuls) ont regagné le Maroc. Ils se considèrent comme des rescapés de guerre. Ils paraissent fatigués, leurs vêtements froissés et leurs bagages de fortune racontent les affres d’un itinéraire tortueux et semé d’embûches qui les a finalement conduit au camp de réfugiés de la Croix-Rouge de Rouiched.

Ce camp, où ils sont restés pendant une quinzaine de jours, se trouve à 25 kilomètres de la frontière jordanienne. Moulay Hafid Baher Assibaï a 51 ans, petite taille, les gestes fermes et le regard fier. Agriculteur, il subvient aux besoins d’une famille de sept membres. « Je suis venu en Irak en 1983 dans le cadre du protocole qui a été signé entre les deux gouvernements marocain et irakien. Les responsables irakiens nous ont toujours bien traités. Nous avions la possibilité de transférer nos économies au Maroc jusqu’à 1988 », raconte-t-il.

A 20 jours de la récolte

Deux ans avant l’incursion irakienne du Koweït, les transferts ont été bloqués. Quelque 120 familles avaient alors regagné le Maroc dans le cadre d’un programme d’indemnisation conduit par l’Onu. Mais beaucoup sont restés là bas. « Les responsables irakiens nous ont promis des indemnités encore plus généreuses. Mais il fallait attendre la fin de la guerre et la levée du blocus économique », explique Moulay Hafid Baher Assibaï. Le village des Marocains se trouve à 180 km au sud de Bagdad, dans la préfecture de Wasset à Al Kout (région d’Al Ahrar). C’est là que vivent une trentaine de familles marocaines.

Chaque famille exploite un lopin de terre et la récolte de l’année permet de payer le montant de la location et de vivre décemment. Mais la guerre en a décidé autrement. « Nous étions à une vingtaine de jours de la récolte annuelle », regrette Mohamed Abdellah Mssieh, 21 ans, né en Irak. La peur de tomber sous les frappes américaines l’a poussé, comme les autres Marocains, à laisser tous ses biens la mort dans l’âme. Mohamed rejoint aujourd’hui sa famille qui a quitté l’Irak en 2001.

Coup de tonnerre

« Les obus explosaient tout près de nous. Les Américains se sont installés à Ennassiria qui se trouve à proximité de notre village et pouvaient ainsi facilement l’atteindre ». Le village des Marocains n’aurait jamais pu être une cible des chasseurs américains et britanniques. Mais ces derniers étaient convaincus, comme tous les Marocains rescapés l’ont confirmé, que plusieurs éléments de la Garde républicaine irakienne se trouvaient cachés dans le village. « Les chars et les lance-roquettes des soldats de la Garde républicaine grinçaient tout autour du village. Ils n’ont pourtant pas pu tenir tête à la force américaine. Le son de tonnerre que provoquaient les obus faisait trembler ma maison ».

Moulay Assibaï intervient pour étayer les propos de Mohamed Mssieh. « Les soldats irakiens se sont fondus à la population pour préparer la guerre des rues. La terreur que nous ressentions est indescriptible. Une nuit, je suis monté sur le toit de ma maison. Il était presque 21 h. J’ai vu un avion qui s’approchait du village. Il a foudroyé un radar qui se trouvait à proximité de ma maison. Les éclats se sont dispersés sur un rayon de 100 mètres. Un feu énorme a illuminé la nuit ».

J’ai vu des enfant mourir

L’histoire d’Abdelouahid Ben Hassan Ali, 23 ans, et celle de Khalid Hajjaji, 22 ans, elles, ne ressemblent guère à celle de Mohamed. Eux ont laissé leurs familles au village. Tous les membres n’avaient pas l’argent nécessaire pour tenter le retour au bercail. « Nos familles voulaient nous rejoindre à Amman, en Jordanie. Quinze jours sont passés au camp des réfugiés de la Croix-Rouge sans qu’on puisse lier le moindre contact avec eux. Je suis très inquiet pour ma famille. Les confrontations risquent de reprendre à tout moment », raconte Abdelouahid avant d’être coupé par Khalid qui, lui, se souvient des « avions qui volent très bas et frappent, sans discernement, soldats et civils ».

« J’ai vu de mes propres yeux les enfants irakiens mourir sous les frappes des hélicoptères Apache. Il n’y a pas eu de victimes parmi les Marocains car chaque soir, nous quittions nos maisons pour passer la nuit à 5 kilomètres, dans les champs, abrités dans des tentures improvisées ». Khalid doit partir à Errachidia où un cousin l’attend. Abdelouahid, en revanche, n’aura pas la même chance. Bien qu’originaire d’Ouarzazate, il n’a plus aucun membre de la famille dans la ville.

Silence de l’ambassade

« J’essaie d’oublier mon sort. L’idée que je pourrais me retrouver dans la rue me terrorise », se plaint-il. Khadija Ibrahim Ajboud a laissé sa fille mariée au village. « Nous sommes restés neuf jours sous les bombardements. Je sais maintenant ce qu’est une guerre. Je ne serais jamais tranquille tant que je n’aurai pas de nouvelles de ma fille et de petite famille ». Fatima Ali, 16 ans, est collégienne. Elle regrette sa paisible vie en Irak d’avant-guerre… »Nous ne manquions de rien. Les responsables nous assuraient tout ce dont on avait besoin. »

Mohamed Adehrek, 34 ans, bien qu’il soit encore jeune, est père d’une famille de sept enfants. Il est venu en Irak en 1981 avec sa famille dans le cadre protocole d’accord. « A partir de 1988, nous ne pouvions plus transférer comme avant les 70 % de nos revenus au Maroc. Et nous n’avons encore rien reçu du don royal de 3 000 dollars par an pour chaque famille. Je tiens à signaler que l’actuel ambassadeur marocain à Bagdad n’a pas bougé le petit doigt pour nous aider ni à avoir nos dûs ni encore à quitter l’Irak. »

Mostafa Bentak

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